« Les États-Unis pourraient offrir des garanties militaires, un soutien en cas de nouvelle attaque russe, peut-être même une sorte de parapluie nucléaire, mais ces promesses seraient-elles sincères ? Peut-on croire en la constance d’une nation qui, après tout, a laissé tomber le Vietnam, l’Irak et l’Afghanistan en un instant ? », s’interroge Emmanuel Caulier sur les perspectives de paix entre l’Ukraine et la Russie dans le contexte des négociations lancées sous l’égide des États-Unis. Concernant la Chine, acteur central bien que discret de ce conflit, il estime qu’en « soutenant discrètement la Russie ou en jouant le rôle de médiatrice, elle s’assure que les grandes puissances occidentales s’épuisent, que leurs alliances vacillent, et que son propre rôle sur la scène mondiale se renforce ». Avocat international, il livre son analyse sur Teria News.
- Au cours de la campagne qui a mené à sa réélection en novembre dernier, Donald Trump a fait état de sa volonté de mettre un terme à la guerre en Ukraine. Le président américain n’a, en particulier, pas caché son aversion pour les milliards d’aides concédés de la poche du contribuable américain à Kiev, mais d’après certains analystes, les choses, dont une certaine convergence de vues supposée entre Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine, s’annoncent moins évidentes qu’elles ne le semblaient à première vue. Quelles sont les conditions de la paix pour la partie russe ?
Dans ce vaste théâtre où se joue l’histoire du monde, où les nations s’affrontent et les destins se croisent, la paix, annoncée avec éclat et une pointe de prétention par Donald Trump, semble déjà condamnée à buter sur les réalités implacables du pouvoir et de la géopolitique. Vous demandez quelles pourraient être les conditions de la paix pour la Russie. Elles résident, sans doute, dans cette alchimie complexe où s’entrelacent les ambitions d’une nation farouchement attachée à son identité, à ses frontières, et à cette sécurité qu’elle considère comme son ultime rempart contre un monde qui lui échappe et lui semble menaçant. Mais elles résident aussi, et peut-être surtout, dans l’âme même de cette vaste contrée,
sauvage et antique, dont les plaines glacées portent encore l’écho des chevauchées des tsars et des batailles épiques. La Russie, déchirée entre le souvenir de sa grandeur et l’âpreté de ses luttes
présentes, ne cherche pas seulement à survivre : elle aspire à reconquérir le respect et la puissance qui furent jadis son apanage. C’est là tout le paradoxe de cette nation immense et fière : elle avance dans l’histoire comme une force indomptable, toujours en quête d’un équilibre entre son passé glorieux et les défis d’un monde qui ne cesse de changer autour d’elle. Le Kremlin, fidèle à son histoire et à ses ambitions, réclame que l’Ukraine, ce frère rebelle, renonce à ses rêves d’Occident et à ses aspirations de rejoindre l’OTAN, jugées inacceptables. « La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires », disait Clemenceau avec cet esprit mordant qui lui était propre. Mais la Russie, elle, semble penser autrement : pour elle, la guerre n’est pas seulement une affaire de stratégie ou de pouvoir ; elle est comme toujours et avant tout une question de survie. Cernée par une Europe qui détourne le regard et par un Occident qu’elle perçoit comme une menace agressive, la Russie avance, convaincue que son destin se joue dans cet affrontement où l’histoire, encore une fois, semble lui donner rendez-vous.
La question du « prix de la paix » se pose ici avec une gravité qui n’épargne ni les cœurs ni les esprits. Pour la Russie, la paix ne saurait se réduire à une simple trêve ou à la fin des hostilités : elle est bien plus qu’une pause dans le tumulte. Elle exige la reconnaissance de ses prérogatives, l’annexion de territoires, la levée des sanctions, et ce respect international que ses dirigeants estiment lui être refusés depuis trop longtemps. Nietzsche, avec sa lucidité provocante, disait que « ce n’est pas l’animal qui fait la guerre, mais l’être raisonnable ». La Russie, dans cette lutte, déploie son pouvoir à travers la soumission de l’Ukraine, la
crainte qu’elle inspire à ses voisins, et le poids de son influence sur la scène mondiale. La paix qu’elle ambitionne n’est pas celle d’une harmonie universelle : c’est un équilibre de forces, un monde où elle ne serait pas une nation isolée, mais un acteur central, incontournable. C’est une paix forgée dans la tension, dans le rapport de forces, où chaque geste, chaque concession, dessine les contours d’un ordre nouveau. La paix, pour la Russie, dans ce jeu complexe de rapports de forces, ne semble pas devoir naitre d’un dialogue empreint de sincérité. Elle s’inscrira plutôt dans une mécanique implacable de domination, où l’Occident, peut-être avec amertume, sera contraint d’en accepter les termes. Quant à Donald Trump, son rôle de négociateur et sa volonté proclamée de mettre fin à ce conflit relèvent moins d’un élan pacifiste que du pragmatisme froid et calculateur de l’homme d’affaires. Il y a, dans sa démarche, cette touche de réalisme brut qui rappelle Machiavel : « Le monde appartient à ceux qui savent le gouverner. » Et Trump, fidèle à cette maxime, semble avant tout préoccupé par les intérêts américains. Il a clairement exprimé que pour lui cette guerre était idiote, que si il avait conservé le pouvoir elle n’aurait eu lieu. L’Ukraine, dans cette vision, n’est pas une cause juste à défendre avec passion, mais une simple variable d’ajustement dans un jeu stratégique plus large. Il s’agit de préserver l’équilibre des forces, de protéger les priorités économiques et diplomatiques des États-Unis, tout en évitant de s’enliser dans un conflit interminable entre deux nations slaves, ce monde étranger à l’Amérique et qui ne la concerne en réalité, pas vraiment. Ce pragmatisme, dénué de toute illusion, témoigne d’une approche où les idéaux cèderont donc la place à l’art des compromis et des calculs. Il utilisera les ressorts de la guerre économique pour faire pression d’un côté sur la Russie, et la menace de ne plus financer l’armement de l’Ukraine de l’autre.
Hélas, l’histoire nous enseigne que l’on ne fait la paix qu’avec ses amis, et non avec ses ennemis. Tant que l’Occident et la Russie resteront à la fois si proches et si éloignés, cette vraie paix que vous évoquez demeurera un songe, une étoile pâle dans la nuit tourmentée de ses espérances.
- Quelles concessions l’Ukraine, probablement sous pression américaine, acceptera-t-elle de faire à la Russie ? Et quelles garanties les États-Unis sont prêts à donner pour que l’on n’assiste pas à une résurgence du conflit dans 20 ou 30 ans ?
La question que vous soulevez, avec ses méandres et ses abimes, ressemble à ces grands fleuves dont le cours, tantôt paisible, tantôt tumultueux, finit toujours par se perdre dans l’immensité de l’océan. Les concessions possibles de l’Ukraine et les garanties incertaines des États-Unis avancent, hésitantes, sur un fil tendu au-dessus d’un gouffre où se mêlent les ombres du passé et les incertitudes de l’avenir.
L’Ukraine, ce pays jeune et fier, dont l’histoire s’écrit à la croisée des empires, se trouve face à un dilemme tragique. Depuis des années, elle lutte pour affirmer son indépendance, et voilà qu’on lui demande, au nom d’une paix incertaine, de renoncer à ses rêves les plus chers. Les concessions seraient ainsi dictées par un besoin impérieux de survie nationale, tout autant que par l’influence grandissante de son allié obligé, les États-Unis. La neutralité, cette « soupape de sécurité » exigerait de l’Ukraine un renoncement à ses ambitions de rejoindre l’OTAN, une promesse solennelle de non-alignement ni avec les uns ni avec les autres. Mais, cette neutralité, mot qui semble si simple, si raisonnable, pourrait devenir pour elle un fardeau insupportable. Car que serait cette neutralité, sinon une promesse de solitude ? Un engagement à rester à l’écart des grandes alliances, à ne jamais rejoindre pleinement l’Ouest, ni à s’abandonner à l’Est ?
Et que dire des territoires ? La Crimée, le Donbass, ces noms chargés d’histoire et de douleur, ces terres où les ambitions s’entrechoquent et où les mémoires s’affrontent ? « Il est des moments où il faut savoir plier pour ne pas se briser », écrivait Rousseau. Mais comment demander à un peuple de plier sans risquer de lui briser le cœur ? Ces concessions, si elles devaient être faites par la force des choses, laisseraient des cicatrices profondes, non seulement sur les cartes, mais dans l’âme même de l’Ukraine.
Quant aux garanties des États-Unis, il faut bien comprendre que leur volonté de « garder l’Europe » dans leur sphère d’influence reste une priorité absolue, et que, dans cette perspective, ils chercheront à éviter toute résurgence du conflit. Mais, hélas ! « Les promesses de l’homme sont des mensonges de l’âme », écrivait Diderot, et il est permis de douter de la solidité de ces garanties. Les États-Unis, dans leur rôle de « gendarme du monde », se verraient contraints de promettre une sécurité durable à l’Ukraine, mais ces garanties seraient-elles suffisantes pour empêcher un retour de la guerre dans 20 ou 30 ans ? Il y a, dans la diplomatie, ce qu’on pourrait appeler la « mémoire de l’histoire », et cette mémoire, trop souvent, est aveugle aux trahisons et aux revirements.
Les États-Unis pourraient offrir des garanties militaires, un soutien en cas de nouvelle attaque russe, peut-être même une sorte de parapluie nucléaire, mais ces promesses seraient-elles sincères ? Peut-on croire en la constance d’une nation qui, après tout, a laissé tomber le Vietnam, l’Irak et l’Afghanistan en un instant, sacrifiant des années de douleurs pour des raisons de personne, de moment et d’opportunité ? Ces garanties risquent de n’être que des mots sur du papier, comme les traités de paix signés dans les salons feutrés de Versailles, mais sans valeur dans la réalité crue des champs de bataille.
Peut-être les États-Unis offriraient-ils également un soutien économique à l’Ukraine, pour sa reconstruction, tout en la menaçant de ne plus financer son effort militaire, mais cela serait-il suffisant pour éradiquer les causes profondes du conflit ? La guerre entre la Russie et l’Ukraine est avant tout une guerre d’identités, et non une simple guerre territoriale ou géopolitique. « Il n’y a pas de guerre sans raison profonde », disait Goethe, et dans ce cas, la raison réside dans les blessures historiques et les peurs existentielles des peuples. Pour que la paix perdure, il faudrait que ces peurs soient apaisées, et il est peu probable que Washington puisse réussir là où la diplomatie européenne a échoué.
Ainsi, les garanties américaines risquent d’être aussi fragiles que les illusions humaines. Dans ce monde, où les alliances changent comme les vents, la guerre, disait Clausewitz, qui n’est que « la continuation de la politique par d’autres moyens », doit conduire à une paix qui ne peut être que le fruit d’une profonde réconciliation, d’un respect des souverainetés, et d’une vision commune de l’avenir. A court et moyen terme, il n’en est rien.
- Au-delà du triptyque États-Unis, Russie, Ukraine mentionné, quel pourrait être le rôle de la Chine que Donald Trump a invité à peser dans les négociations ?
La Chine, dans ce grand théâtre où les nations s’affrontent et où l’Ukraine joue sa tragédie, s’avance avec une discrétion majestueuse et une ambition infinie. Son rôle, à la fois mystérieux et déterminant, ressemble à ces forces profondes de la nature que rien ne semble troubler, mais qui finissent par façonner les montagnes et les fleuves. « Ce colosse endormi », comme l’avait si justement qualifié Napoléon, n’est plus tout à fait endormi. Il observe, calcule, et, dans son silence, prépare l’avenir.
Ce qui frappe d’abord, c’est la manière dont la Chine manie l’économie comme une arme subtile et redoutable. « L’économie est la continuation de la guerre par d’autres moyens », aurait pu dire de son côté Sun Tzu, et la Chine en a fait une règle d’or. Loin des champs de bataille ukrainiens, qui ne la concerne pas non plus, elle déploie son influence par le commerce, les investissements, ces routes de la soie modernes qui tissent peu à peu une toile autour du monde et ce qu’on appelle la stratégie du collier de perles. Inviter la Chine à jouer un rôle dans ce conflit, comme l’a fait Donald Trump, n’est pas un appel à la paix, mais une reconnaissance implicite de cette puissance économique qui redessine les cartes du pouvoir.
Mais l’économie n’est qu’un des visages de cette Chine stratège. Sur le plan géopolitique, elle avance avec une patience inépuisable, telle une rivière qui creuse son lit sans jamais se presser. Elle n’a pas besoin de s’engager directement dans le conflit pour en tirer profit. En soutenant discrètement la Russie ou en jouant le rôle de médiatrice, elle s’assure que les grandes puissances occidentales s’épuisent, que leurs alliances vacillent, et que son propre rôle sur la scène mondiale se renforce. Clausewitz aurait vu dans cette stratégie une forme supérieure de guerre : une guerre sans bataille, mais où chaque mouvement compte.
La Chine pourrait se présenter comme une force de paix, mais cette paix, si elle venait d’elle, serait teintée de pragmatisme et de calcul. Sa diplomatie, souvent drapée dans les idéaux de respect des souverainetés et de non-ingérence, cache mal une ambition profonde : celle de remodeler l’ordre mondial à son avantage. « Il y a toujours plus de sagesse dans l’action que dans les paroles », disait Confucius, et la Chine agit, lentement mais surement, pour s’imposer comme le centre d’un monde multipolaire.
Ce qui distingue la Chine des autres grandes puissances, c’est sa vision à long terme. Là où l’Occident agit souvent dans l’urgence, elle planifie sur des décennies, voire des siècles. Elle sait que le temps est son allié. Pendant que l’Europe et les États-Unis s’épuisent dans des conflits et des négociations, elle construit patiemment son influence, prête à saisir le moment où l’équilibre des forces basculera en sa faveur. Lao-tseu aurait dit : « Ce n’est pas l’eau qui fait le chemin, mais le chemin qui guide l’eau. » La Chine, fidèle à cet adage, ne force rien, mais finit toujours par orienter le cours des évènements.
Ainsi, son rôle dans ce drame ukrainien ne saurait être celui d’un simple spectateur ou d’un médiateur bienveillant. Elle est à la fois dans l’ombre et au centre, silencieuse, mais déterminante. Elle avance sans bruit, mais avec une efficacité implacable, prête à tirer parti des faiblesses des uns et des autres pour s’imposer comme la puissance incontournable du XXIe siècle.
Peut-être, un jour, l’histoire se souviendra de ce moment où la Chine, sans tirer un coup de feu, aura transformé l’ordre mondial. Mais pour l’heure, elle attend, comme un fleuve tranquille qui, inévitablement, trouve son chemin vers l’océan. En conviant la Chine à l’équation, Trump fait un pas stratégique vers la victoire de sa diplomatie, car sans le concours de la Chine, la fusion des visions stratégiques ne pourrait pas se faire avec le nouvel équilibre du monde.
- Il l’a déclaré, en négociant un accord sur le conflit russo-ukrainien, le président américain souhaite également, en réhabilitant la Russie, désunir le couple géopolitique Pékin-Moscou pour affaiblir son grand rival. Peut-il arriver à ses fins ?
C’est une question qui pourrait faire frémir les dieux de l’Olympe tant elle touche aux ressorts profonds des ambitions humaines et aux jeux d’équilibre entre les puissances. Donald Trump, avec ce mélange de pragmatisme et d’audace qui le caractérise, semble vouloir s’attaquer à un chantier titanesque : désunir ce que l’Histoire récente a lié, séparer la Russie de la Chine, ce couple improbable, mais redoutablement efficace dans sa volonté de remodeler l’ordre mondial.
La stratégie déployée ici, tout en étant empreinte d’une certaine logique apparente, semble se heurter aux vastes méandres de l’Histoire et aux caprices des nations. La Russie et la Chine, telles deux figures mythologiques opposées, avancent ensemble dans un ballet qui n’a rien d’harmonieux. L’une, héritière des tsars et des soviets, se drape dans le manteau d’une gloire passée, cherchant à rallumer les feux éteints d’une grandeur impériale. L’autre, patiente comme les âges, déroule son ascension avec la sérénité d’une civilisation millénaire, persuadée que le temps, ce grand sculpteur, finira par couronner son empire.
Ce rapprochement, dicté par les circonstances plus que par l’élan des cœurs, évoque ces mariages de raison que Stendhal aurait décrits, où l’intérêt supplante l’amour. L’Occident, dans son rôle de spectateur inquiet, tente d’intervenir : Trump, en stratège des temps modernes, imagine fissurer cette union en flattant l’orgueil du Kremlin. Mais, comme le soulignait Machiavel, « les promesses des princes n’engagent que ceux qui y croient ». L’entreprise est audacieuse, mais elle s’appuie sur un terrain miné par les incertitudes.
Car entre Moscou et Pékin, il y a une méfiance ancienne, presque biblique, qui semble traverser les âges. La Sibérie, immense et silencieuse, est à la fois un trésor et une menace, un champ de possibles et un sujet de discorde. La Russie, consciente de la montée en puissance de son voisin, observe avec crainte la marée démographique et économique chinoise. La Chine, quant à elle, voit en la Russie un allié utile, mais fragile, dont la dépendance aux hydrocarbures rappelle les tragédies de l’orgueil mal placé décrites par Racine.
Trump, tel un champion d’échecs russe, espère exploiter ces failles. Offrir à la Russie une sortie honorable du bourbier ukrainien, lever des sanctions, reconnaitre son statut de grande puissance : autant de mouvements qui pourraient flatter l’égo d’un Kremlin en quête de respectabilité. Mais, comme le soulignait La Rochefoucauld, « l’orgueil est toujours plus près du point de chute que du sommet ». La Russie, isolée par l’Occident, pourrait bien préférer l’assurance tranquille de la Chine à des promesses américaines sujettes à l’inconstance.
Et la Chine ? Elle observe, impassible, comme un sphinx. Pékin, habile et méthodique, pourrait redoubler d’efforts pour renforcer ses liens avec Moscou, offrant à son partenaire ce que l’Occident refuse : une reconnaissance tacite, un soutien sans condition, et la promesse d’un avenir partagé contre un ennemi commun. « Diviser pour régner », certes, mais encore faut-il que les divisions soient assez profondes pour que l’effort vaille la peine.
En définitive, Trump pourrait obtenir un succès, mais un succès fragile, éphémère, comme ces victoires que Tacite qualifiait de « désertes » : des triomphes où il ne reste rien à conquérir. La Russie et la Chine, unies par la nécessité, semblent destinées à résister. Et l’Histoire, cette grande tragédienne, pourrait rappeler à tous que les fils du destin, une fois tissés, ne se dénouent pas sans péril. Ce couple bancal, mais tenace, pourrait bien devenir l’un des paradoxes de notre époque, à la fois fragile et indestructible, uni dans une adversité qui transcende les frontières du temps. Ce serait un échec pour Trump.
- Un mot sur l’Europe, grande absente des plans de la future administration américaine, mais qui a tout de même supporté un coup budgétaire, énergétique et humanitaire avec une guerre qui se déroule sur son continent depuis février 2022. Quel rôle pourrait-elle jouer dans les différents scénarios énoncés ?
Ce vieux continent, théâtre de tant de gloires et de tragédies, berceau des idées qui ont éclairé le monde est aussi terre de conflits et de divisions. À la manière d’un personnage balzacien, elle vacille, partagée entre la mémoire de ses triomphes passés et les incertitudes d’un avenir qu’elle peine à appréhender. Si l’Histoire est une grande fresque, l’Europe en est l’un des protagonistes les plus complexes : fière et vulnérable, visionnaire et hésitante, toujours en quête d’un rôle à jouer sur la scène mondiale.
Dans le tumulte de ces trois grandes puissances que vous citez à raison qui redessinent les contours du monde : les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Europe apparait comme un spectateur inquiet, mais aussi comme un acteur blessé. Depuis février 2022, elle a payé un tribut lourd : l’énergie devenue un fardeau pour ses économies, l’arrivée massive de réfugiés mettant à l’épreuve ses idéaux de solidarité, et la proximité d’une guerre rappelant des souvenirs que l’on croyait enfouis. Pourtant, l’Europe n’est pas qu’un vestige : elle reste une force, un rêve en construction, capable, si elle le veut, de transcender ses divisions et de reprendre sa place au centre du grand jeu.
Paul Valéry disait : « L’Europe n’existe que dans ses rêves. » Et pourtant, ces rêves, ont su, face à l’adversité, s’unir dans un élan fragile, mais réel. La guerre en Ukraine a offert un rare moment d’unité : sanctions contre Moscou, soutien à Kyiv, et efforts pour réduire la dépendance énergétique. Mais, comme dans les romans de Proust, cette unité est traversée par des fissures, des souvenirs divergents et des ambitions contradictoires. À l’Est, on ressent avec acuité la menace russe ; à l’Ouest, on aspire parfois à la normalisation, dans l’espoir de préserver des intérêts économiques, dans un contexte de grande fragilité.
Si l’Europe veut peser, elle devra apprendre à parler d’une seule voix. Mais comment concilier les échos des clochers et la souveraineté des nations ? Cette tâche, qu’on croirait empruntée à Sisyphe, est pourtant la clé. Car si l’Europe parvient à s’unir, elle pourrait devenir un acteur incontournable : médiateur entre les grandes puissances, artisan de la reconstruction de l’Ukraine, et modèle d’une résilience qui transcende les crises.
On oublie trop souvent que l’Europe reste une puissance économique majeure, une force discrète, mais réelle. Ses sanctions, son aide financière, ses investissements dans l’avenir montrent qu’elle possède des outils puissants. Mais, comme le soulignait Montesquieu, « le pouvoir n’est rien sans le courage de l’exercer ». Encore faut-il que l’Europe ose : qu’elle transforme son poids économique en levier diplomatique, qu’elle se pose en arbitre dans un monde multipolarisé.
Contrairement aux États-Unis, souvent perçus comme partisans, et à la Chine, toujours auréolée d’ambigüité, l’Europe pourrait incarner une autre voie : celle de la paix et de la stabilité. Mais cela exige une audace qui lui fait parfois défaut. Il ne suffit pas de vouloir ; il faut agir, comme le rappelle Rousseau : « La liberté ne se donne pas, elle se prend. »
Et si, au-delà de la géopolitique, l’Europe avait un autre rôle à jouer ? Celui de montrer qu’il est possible de concilier prospérité, solidarité et liberté. Si elle surmonte la crise énergétique, intègre les réfugiés et renforce sa défense sans renier ses valeurs, elle pourrait offrir au monde un modèle unique, une réponse subtile, mais puissante aux ambitions des régimes autoritaires.
Mais, hélas, l’Europe est souvent son propre obstacle. Comme l’écrivait Malraux, elle est « un continent de vieilles pierres et de jeunes idées ». Cet attachement à son passé, si noble soit-il, peut parfois l’empêcher de se projeter dans l’avenir. Pourtant, dans les grands moments de l’Histoire, elle a su surprendre, s’élever, se réinventer.
Alors, quel rôle pour l’Europe dans ce drame qui se joue ? Celui d’un acteur hésitant, certes, mais encore capable d’éclats. Peut-être est-il temps pour elle de se souvenir que, loin d’être un simple témoin, elle a été, et peut redevenir, l’un des grands auteurs de l’Histoire. Elle peut aussi si elle ni prend garde, être absente de la résolution du conflit et sortir de l’Histoire.
Teria News