Mis à l’index par la RDC qui a officiellement porté plainte contre Apple, accusé d’acheter des « minerais de sang », pillés en RDC et illégalement vendus par Kigali, le groupe annonce renoncer à s’approvisionner en République Démocratique du Congo et au Rwanda. Une victoire d’étape pour Kinshasa qui pourrait faire boule de neige.
La politique de « naming » et de « shaming » des autorités congolaises à l’égard des multinationales de la technologie semble déjà porter ses fruits. Avant même l’aboutissement des procédures pénales lancées en France et en Belgique par la RDC contre Apple pour achat à Kigali de « minerais de sang », soit des minerais de contrebande pillés par des factions rebelles, certaines contrôlées par le Rwanda, alors que le pays ne possède officiellement aucune mine de ces minerais stratégiques. En réalité, l’offensive de Kinshasa revêt, dès le départ, deux volets : le premier, judiciaire, le second de relations publiques. C’est avant tout sur ce deuxième plan que l’État congolais pouvait espérer marquer des points dans le bras de fer qui l’oppose au Rwanda, et dont les multinationales, bien qu’actrices du conflit par leur complicité, ne sont que des proxys.
Une mise en accusation judiciaire et publique
Redoutable contre les grands groupes, préoccupés par une image et une responsabilité sociale dont ils lissent les contours à coup de millions investis dans leur communication, afin d’éviter toute retombée négative sur les ventes de leurs produits, interpeller publiquement leur rôle dans la chaîne responsabilités qui entretient le conflit à l’Est de la RDC met en danger la perception qu’ont les consommateurs de leur marque. Ainsi, les effets de la mise en accusation publique d’Apple par les autorités congolaises ont précédé le temps judiciaire avec un recul de la multinationale. Cédant à la pression, Apple a indiqué, mardi 17 décembre, avoir demandé à ses fournisseurs de métaux ne plus s’approvisionner en étain, tantale, tungstène et autres métaux technologiques stratégiques depuis la RDC et le Rwanda. La firme à la pomme a de plus réfuté les allégations de la RDC concernant l’utilisation de « minerais de sang » dans ses produits.
La sortie d’Apple, relayée par l’agence Reuters, intervient après que les avocats de l’État congolais ont annoncé le dépôt de plaintes pénales contre les filiales d’Apple en France et en Belgique. Ces dernières font suite à une mise en demeure adressée par la partie congolaise à Apple en avril dernier. Kinshasa reprochait déjà au groupe des mécanismes de traçabilité insuffisants.
Le recul d’Apple est d’autant plus important que sur le plan diplomatique, la dernière séquence des négociations entre la RDC et le Rwanda a échoué avec l’annulation, dimanche 15 décembre, du sommet Tshisekedi-Kagame prévu à Luanda, les Rwandais ayant « posé comme préalable à la signature d’un accord que la RDC mène un dialogue direct avec le M23 », armé et financé par Kigali.
Le rôle trouble des multinationales de la tech
« Une enquête des Nations unies a révélé que de nombreux comptoirs achètent sciemment du coltan dans des zones contrôlées par des groupes armés et exploitent la distinction entre eux et les négociants pour prétendre ignorer l’origine du minerai […] Les entreprises internationales transportent ensuite le minerai directement vers le pays de destination ou le réexportent via l’Ouganda et le Rwanda vers des installations de traitement à l’étranger. »
Rapport publié en mars 2022 par l’ENACT, initiative de lutte contre le crime organisé transnational
Intitulé « Mining and illicit trading of coltan in the Democratic Republic of Congo », le rapport d’ENACT souligne que le Rwanda est la voie privilégiée pour le négoce illicite du coltan. Kigali ne taxe pas les exportations du minerai et permet aux marchandises importées d’être requalifiées « made in Rwanda » à condition de subir une transformation dans le pays avec une valeur ajoutée d’au moins 30%. « Il est donc probable que la majeure partie du minerai exporté du Rwanda soit d’origine congolaise », conclut l’ENACT.
Toutefois, malgré les rapports accablants, le combat judiciaire contre Big Tech reste entier. En effet, une des dernières actions intentées contre les multinationales de la tech s’est soldée par un échec pour les requérants. En mars 2024, la Cour d’appel du district de Columbia a ainsi statué en faveur de Google, Apple, Dell Technologies, Microsoft et Tesla, accusés de soutenir le travail des enfants dans les mines de cobalt de la République démocratique du Congo. Ces firmes étaient accusées par un collectif de plaignants représentent 14 victimes anonymes, membres de familles d’enfants tués ou mutilés dans l’effondrement de tunnels de mines artisanales, de complicité avec les fournisseurs dans une entreprise de « travail forcé » en achetant notamment du cobalt, indispensable à la production des batteries lithium-ion utilisées dans l’électronique.
Teria News