« Moscou appelle au dialogue entre le gouvernement syrien et l’opposition légitime », indique Sergueï Lavrov. Comment rebondira la Russie après ce revers géopolitique majeur ? Conservera-t-elle sa base navale de Tartous ? La chute de Bachar al-Assad, coup violent porté à l’« Axe de la résistance », constitue également une victoire, revendiquée par Israël. Les gagnants et perdants de ces évènements qui dessinent une redéfinition du Moyen-Orient telle que voulue par Benyamin Netanyahu.
Après 54 ans de règne de la dynastie Assad dont 14 ans de guerre civile, 500.000 morts, 5.4 millions de réfugiés (majoritairement accueillis par la Turquie) et 6.9 millions de déplacés internes, le régime est tombé en seulement 11 jours. L’armée syrienne, mal payée, a refusé de combattre pour Bachar el-Assad qui avait pourtant retiré ses troupes d’Alep afin de de leur permettre de se regrouper pour gagner du temps et attendre les renforts russe et iranien. Ces derniers ne furent pas à la hauteur. Conduits par les islamistes de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) de Abu Mohammad al-Jolani (anciennement affiliés à Al-Qaïda), les insurgés ont mené une marche éclair sur Hama, puis Homs. Si le soutien aérien russe est bel et bien arrivé, il ne fut pas assez conséquent pour contrer l’avancée des rebelles. Affaiblie par son investissement dans la contre-offensive libanaise du Hezbollah contre Tsahal, l’Iran de son côté, ne disposait pas de moyens suffisants pour soutenir le régime qu’elle a pourtant parrainé à coup de milliards de dollars ces dernières années.
Revers géopolitique pour Moscou
« Moscou appelle au dialogue entre le gouvernement syrien et l’opposition légitime »
Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères
Bien que les insurgés ont déclaré avoir pris contact avec la Russie, d’aucuns s’interrogent sur le contenu des échanges. Ont-ils abouti à une entente à minima, un pacte de non-agression garantissant, du moins temporairement, à la Russie le maintien de ses intérêts en Syrie, principalement sa base navale de Tartous, unique point de projection sur la méditerranée de sa marine, ou se dirige-t-on vers une alliance avec Moscou et du côté du Kremlin, d’un renversement d’alliance du régime baasiste vers la coalition rebelle ? Officiellement, le Kremlin informe que les discussions sont en cours.
Le renversement du régime de Bachar al-Assad représente une perte de prestige international pour la Russie laquelle, l’avait paradoxalement reconquis il y a dix ans sur ce même terrain syrien en opposant une résistance effective à la coalition internationale, principalement occidentale, contre Bachar el-Assad et en soutien aux rebelles du printemps syrien. Mais cette fois, c’est à une autre Russie que le désormais ex-dirigeant syrien avait fait appel. Celle d’aujourd’hui voit ses forces accaparées sur le terrain ukrainien où elle tente de pousser son avantage militaire au maximum dans l’optique de négociations futures (contraintes par l’arrêt du soutien militaire américain à l’Ukraine) dès l’investiture de Donald Trump aux États-Unis. L’effort de guerre russe en Ukraine, combiné à celui iranien au Liban, ont coûté son fauteuil à Bachar al-Assad qui a néanmoins trouvé refuge à Moscou, le Kremlin lui ayant accordé l’asile politique dans la nuit du 7 au 8 décembre.
Effondrement de l’Axe de la résistance iranien
L’effondrement du régime syrien est une victoire pour Israël qui intervient pendant le cessez-le-feu avec le Hezbollah. S’agit-il d’une coïncidence ou Israël a-t-il saisi, voire s’est-il ouvert une fenêtre d’opportunité avec la trêve sur le front libanais pour accélérer ses plans en Syrie contre le régime de Bachar el-Assad ? Si le rôle d’Israël dans la conquête éclair des rebelles emmenés par HTS en Syrie reste à définir, il ne fait nul doute que le renversement du dirigeant syrien fait le jeu de Tel-Aviv qui, depuis les lendemains du 7 octobre 2023, s’emploie à détruire les relais d’influence régionaux de l’Iran, unis sous la bannière de l’« Axe de la résistance ». Composé du Hezbollah libanais, son joyau considérablement affaibli par Tsahal, le Hamas à Gaza qui a subit le même sort, les Houthis yéménites, des milites iraquiennes et de la Syrie de Bachar al-Assad, aujourd’hui tombé, l’effondrement des satellites de l’Iran, et par conséquent, de l’emprise de Téhéran sur région, constituent une victoire stratégique pour Israël. Lui reste désormais à attendre la prochaine administration américaine et à négocier avec elle la possibilité de frapper les sites pétroliers, mais surtout nucléaires iraniens. L’armée israélienne a par ailleurs étendu son contrôle du plateau du Golan à la zone tampon démilitarisée créée en mai 1974 suite à la résolution 350 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Avec la libération de prisonniers politiques, la Syrie offre un paradoxe. Celui d’islamistes, force d’oppression par définition, perçus comme des libérateurs. Il interroge sur la pérennité de ce climat. Mais d’aucuns s’interrogent également sur l’attitude des puissances régionales et globales à l’égard des nouveaux maîtres de la Syrie. Vont-t-elles prendre langue avec les rebelles et légitimer des groupes djihadistes, considérés terroristes par le Département d’État américain ou les ostraciser au nom de la morale ? Comme bien souvent, la réponse pourrait se trouver dans la question, mais surtout dans le passé et l’ambiguïté des super-puissances à l’égard d’acteurs autoritaires au nom d’une « stabilité », garantissant surtout la défense de leurs intérêts.
Wuldath Mama