Dimanche, l’Afrique du Sud a pris la présidence du G20, une première pour une nation africaine. Dette, justice climatique, réformes de la gouvernance multilatérale, de quelles marges de manœuvres bénéficie Prétoria pour marquer son leadership en faveur des enjeux propres aux pays du Sud ?
L’Afrique du Sud a succédé au Brésil à la présidence du G20, le principal forum économique mondial. La présidence du G20 fonctionne selon un système de troïka composé du titulaire actuel, du titulaire précédent et du titulaire suivant. Les trois membres coopèrent entre eux pour préparer un sommet annuel. Cela signifie que l’Afrique du Sud travaillera avec le Brésil et les États-Unis (présidence 2026).
Les membres du G20, 19 pays plus l’Union européenne et l’Union africaine, représentent environ 80 % du PIB mondial, 75 % des exportations mondiales et 60 % de la population mondiale. The Conversation Africa a demandé à Laura Carvalho, directrice de la prospérité économique et climatique à Open Society Foundations et professeure associée d’économie à l’Université de São Paulo, ce que l’Afrique du Sud peut apprendre de l’expérience du Brésil.
Comment le Brésil a-t-il lié ses discussions de politique intérieure à l’agenda du G20 ?
Tout d’abord, le Brésil a réussi à relier l’agenda climatique à l’agenda des inégalités du G20, en tant que reflet de ses propres défis nationaux. Selon la World Inequality Database, le Brésil est l’une des économies les plus inégalitaires au monde si l’on considère la part du revenu national qui revient au 1 % le plus riche. Cela est en partie dû à un système fiscal profondément injuste.
Les premier et deuxième gouvernements de Luiz Inácio Lula da Silva ont réalisé des progrès substantiels dans la réduction des inégalités en augmentant les revenus des plus pauvres. Cela s’est fait par le biais de transferts monétaires, d’augmentations du salaire minimum et de création d’emplois. Le troisième gouvernement Lula a utilisé différentes mesures pour s’attaquer à une concentration extrêmement élevée des revenus et des richesses au sommet. La principale a été de réformer le système fiscal. Certaines propositions ont fait l’objet d’une forte pression de la part des représentants de l’élite au Congrès brésilien. Mais le gouvernement est resté inébranlable.
Le Brésil a également profité de sa présidence du G20 pour mener ce programme à l’échelle internationale. Il a par exemple proposé un impôt minimum sur les milliardaires. Cela a conduit à un engagement sans précédent de tous les pays du G20 pour garantir que les personnes très fortunées soient effectivement imposées. Il ne s’agit là que d’une première étape dans un programme plus large de coopération fiscale que les Nations Unies et d’autres forums multilatéraux devraient adopter. Entre-temps, le ministère brésilien des Finances propose un impôt minimum sur ses propres millionnaires. Nous verrons s’il parviendra à utiliser l’élan mondial pour approuver la proposition au niveau national. Ce serait une étape importante.
Que peut apprendre l’Afrique du Sud du Brésil ?
Le Brésil a bénéficié d’une forte participation sociale au processus du G20 par le biais de groupes de réflexion, d’entreprises et d’organisations de la société civile. Cela a permis au processus de gagner en pertinence tout au long de l’année dans les débats politiques nationaux et internationaux. Il a également laissé un héritage national important. Pour la première fois, de nombreux acteurs brésiliens se sont engagés dans les agendas mondiaux du climat et de l’économie. Ils en savent désormais plus lorsqu’ils font entendre leur voix dans les espaces multilatéraux.
Cette forte participation sociale a eu plusieurs conséquences :
- elle a maintenu les inégalités entre les pays et au sein de ceux-ci au cœur du processus du G20;
- elle a contribué à obtenir l’engagement des pays riches envers l’Alliance mondiale de lutte contre la faim et a aidé à la campagne de taxation des super-riches;
- elle a créé une feuille de route ambitieuse pour réformer les banques multilatérales de développement.
Mais comme nous le savons, de nombreux pays développés sont confrontés à leurs propres contraintes politiques et budgétaires. Il n’est donc pas surprenant que le sommet du G20 de 2024 ait fait peu de progrès sur d’autres questions importantes. Il s’agissait notamment d’augmenter les engagements en capital envers les banques multilatérales de développement. Un autre était la réforme de l’architecture financière et de la dette internationale. Ces circonstances ne s’amélioreront pas de sitôt.
Les dirigeants sud-africains peuvent chercher à mieux relier les sources existantes de financement du développement et du climat aux véritables défis socio-économiques et climatiques auxquels sont confrontés les gouvernements et les citoyens des pays du Sud.
Que devrait faire différemment la présidence sud-africaine pour obtenir un meilleur accord sur le financement du climat ?
L’engagement de l’Afrique du Sud en faveur de plans ambitieux de transition énergétique et de développement vert, ainsi que la qualité de son financement, peuvent éclairer les propositions visant à encourager une meilleure coordination des donateurs internationaux pour financer les programmes de transition climatique menés par les gouvernements.
Les plateformes nationales telles que les partenariats pour une transition énergétique juste, des plateformes par lesquelles les pays développés aident les pays en développement à financer la lutte contre le changement climatique, offrent la promesse de recourir à des financements concessionnels et à une planification nationale pour surmonter les défis politiques et économiques des pays. Cela permet aux gouvernements de poursuivre des projets ambitieux tout en garantissant l’adéquation avec les besoins et les priorités nationaux.
Mais les plateformes nationales ne doivent pas être considérées uniquement comme des moyens d’attirer des capitaux ou de réduire les risques liés aux financements privés. Elles peuvent également fournir un plan clair pour mobiliser, orienter et coordonner les financements internationaux et nationaux, l’expertise technique et le partage des connaissances.
Les plateformes nationales doivent démontrer que les objectifs de transition climatique peuvent être atteints parallèlement à la croissance économique, à la création d’emplois et à l’égalité socio-économique. Pour préserver la crédibilité et l’impact de ce modèle, il faut une meilleure coordination entre les banques multilatérales de développement et les autres donateurs internationaux afin de fournir le niveau approprié de financement concessionnel. C’est un point sur lequel les dirigeants sud-africains du G20 pourraient se concentrer.
L’Afrique du Sud est bien placée pour démontrer que ces plateformes peuvent être plus qu’un ensemble de projets visant à mobiliser des capitaux privés pour réduire les émissions. Elles constituent également des moyens de fournir des sources de financement international plus flexibles, plus abordables et plus durables. Cela permettrait aux gouvernements des pays en développement d’offrir des avantages tangibles à leurs populations.
En fin de compte, c’est ce que tous les gouvernements doivent montrer à leurs électeurs. Ce n’est qu’en parvenant à concilier transition climatique et développement économique que nous parviendrons à résoudre la crise climatique. J’ai bon espoir que, sous la direction de l’Afrique du Sud et en nous appuyant sur le travail de la présidence brésilienne du G20, nous verrons des progrès.
Prétoria s’est engagé à soutenir la candidature du Nigéria à une adhésion au G20. « Le Nigeria bénéficiera d’un soutien sans faille de notre part. Nous avons été un membre isolé du G20. Nous devrons faire entendre la voix de l’Afrique, qui a été négligée », a déclaré Cyril Ramaphosa. Le dirigeant Sud-afrcain ajoute que Pretoria s’attachera également à prendre des mesures pour garantir la viabilité de la dette des pays à faible revenu. Par ailleurs, l’Afrique du Sud profitera de sa présidence pour mobiliser des fonds en faveur d’une transition énergétique juste.
Teria News avec The Conversation