AKAA : une foire dédiée au renforcement du rôle de l’Afrique dans le paysage de l’art contemporain

« Historiquement sous-représentés dans les institutions et les grands événements artistiques internationaux, les artistes Africains et de la diaspora ont longtemps été marginalisés ou cantonnés à des catégories « exotiques » ou « ethniques ». » Dans ce contexte d’invisibilisation, AKAA (Also Known As Africa) dont la 9e édition s’est tenue du 18 au 20 octobre dernier à Paris, offre une plateforme unique pour la valorisation et la promotion de l’art Africain et diasporique. Ngemba Tina Mpondani, Chargée de Production et d’Exposition en parle à Teria News.

Quelle est l’origine de votre initiative et depuis quand la portez-vous ?

Originaire du Congo-Kinshasa, ou encore du Kongo Central pour les historiens, j’ai quitté le continent très jeune pour m’installer au Canada. Mon environnement familial n’était pas particulièrement artistique ; il était plutôt marqué par l’entrepreneuriat, les intellectuels et les figures politiques. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, l’art, profondément enraciné dans la culture kongo fait partie de notre identité. En grandissant, j’ai rêvé des plus grands artistes, principalement afro-américains, car c’est ce que nous consommons le plus sur le continent, ainsi que, bien évidemment, la musique et la danse africaines. Cependant, j’ai été davantage immergée dans le sport, la performance et une culture où l’art n’était pas encore au centre de ma vie. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à explorer cette voie artistique enfouie en moi. Après mon Bachelor, je suis retournée aux études en arts visuels, puis une troisième fois en muséologie. Les choses sont devenues plus sérieuses à ce moment-là, non seulement parce que je me sentais plus libre, mais aussi parce que je gagnais une légitimité pour parler de ce que j’aime et donner mes opinions, soutenue par une formation académique. À partir de là, j’ai commencé à explorer mon imagination et à m’investir davantage dans ma communauté. Bien que jeune dans le milieu artistique, je me suis retrouvée en contact avec des figures que j’admirais autrefois à distance, et j’ai cherché à visiter autant de musées et d’expositions que possible lors de mes déplacements. Parfois, je planifie même mes voyages en fonction des expositions disponibles, surtout lorsqu’elles mettent en lumière des artistes de couleur. Mon objectif principal est simple : découvrir et partager avec les autres, sans arrêt. Le partage est un aspect fondamental de mon travail et de ma personnalité. Peu importe le milieu, lorsque cette transmission se fait de manière organique, une immense fierté m’envahit. Prendre part à l’aventure AKAA, notamment dans les relations avec les galeries et l’aide à la production pour une première édition, représente pour moi une réussite importante. C’est une opportunité qui me permet, avec une grande liberté, d’explorer et de contribuer non seulement à la communauté artistique, mais aussi à un réseau structuré et influent.

⁠⁠Votre foire d’art contemporain AKAA est une mise en visibilité des artistes Africains et Afro-descendants. Quelle est leur place sur la scène artistique globale aujourd’hui ?

Les artistes Africains et Afro-descendants occupent aujourd’hui une place de plus en plus importante sur la scène artistique mondiale, bénéficiant d’une reconnaissance croissante des institutions culturelles, des collectionneurs et du grand public. Cette évolution résulte d’efforts soutenus pour mettre en lumière la richesse, la diversité et la singularité de leurs pratiques artistiques, souvent ancrées dans des récits identitaires, culturels et historiques spécifiques. Historiquement sous-représentés dans les institutions et les grands événements artistiques internationaux, les artistes africains et de la diaspora ont longtemps été marginalisés ou cantonnés à des catégories « exotiques » ou « ethniques ». Cependant, depuis quelques décennies, de nombreux événements, expositions et initiatives militent pour leur intégration dans le discours artistique global. Des plateformes comme la Biennale de Venise, la Documenta de Kassel ou la Biennale de Dakar ont joué un rôle essentiel en exposant des artistes africains dans des contextes majeurs. Des figures emblématiques telles qu’El Anatsui, Yinka Shonibare, Wangechi Mutu, Kehinde Wiley ou encore Zanele Muholi ont ouvert la voie, imposant leur travail dans les plus grandes galeries, musées et collections. Ces artistes ne se contentent pas de représenter l’Afrique ou la diaspora, mais participent activement à la redéfinition des récits artistiques universels en abordant des questions comme l’identité, la mémoire, le colonialisme, la migration ou la globalisation. Par ailleurs, les expositions collectives dédiées aux artistes africains et afro-descendants se multiplient. Par exemple, des événements récents tels que « When We See Us » au Museum der Gegenwart à Bâle ou « Afro-Atlantic Histories » au Musée d’art de São Paulo illustrent l’intérêt croissant pour ces perspectives. Ces expositions explorent les récits visuels, historiques et contemporains liés à l’expérience africaine et diasporique. Dans ce contexte, des initiatives comme la foire d’art contemporain AKAA (Also Known As Africa) sont essentielles. AKAA offre une plateforme unique dédiée à la célébration et à la promotion des artistes Africains et Afro-descendants, contribuant à équilibrer les rapports de force dans le monde de l’art. En réunissant des galeries, des artistes et des collectionneurs autour de thématiques riches et engagées, AKAA participe non seulement à la diffusion de leurs œuvres mais aussi à leur intégration dans le discours artistique international. La foire met en avant des créations multidisciplinaires, allant de la peinture à la sculpture, en passant par la photographie et les installations, reflétant ainsi la diversité et la modernité des expressions artistiques issues du continent et de sa diaspora.

Cette année, vous avez particulièrement mis en valeur les artistes féminines. Qu’est-ce qui motive ce parti pris ?

Cette année, de manière organique, la foire AKAA (Also Known As Africa) a accueilli de nombreuses artistes féminines parmi ses exposants. Depuis quelques années, les discussions au sein des institutions sur la place des femmes dans l’art, au sein des collections et de l’écosystème artistique, prennent de l’ampleur. Je suis heureuse de constater que cette dynamique s’élargit d’elle-même, non seulement dans le contexte de la représentation diasporique, mais aussi dans celui de la place des femmes dans l’art contemporain. Cette démarche est motivée par la volonté de corriger une sous-représentation historique des femmes dans le domaine de l’art contemporain, notamment en Afrique et dans sa diaspora. En 2024, parmi la centaine d’artistes exposés à AKAA, 28 étaient des femmes africaines, un record selon Victoria Mann, fondatrice de la foire. Ce focus vise à célébrer la richesse et la diversité des perspectives féminines dans l’art contemporain africain. Les œuvres présentées sont souvent à la fois poétiques et engagées, bousculant les codes traditionnels et offrant des réflexions profondes sur des thématiques telles que l’identité, la mémoire et la résilience. En mettant en lumière ces créatrices, AKAA contribue à la reconnaissance et à l’expansion de leur travail, tout en encourageant une plus grande parité dans le monde de l’art. Cette initiative s’inscrit dans une démarche plus large visant à valoriser les contributions essentielles des femmes à la culture et à la société.

Quels sont les principaux défis que doivent encore relever les artistes que vous exposez ?

Les principaux défis auxquels doivent encore faire face les artistes que nous exposons dépassent souvent le simple équilibre économique de l’écosystème artistique ou la baisse de l’engouement auprès des acheteurs. L’un des problèmes les plus persistants, notamment pour les artistes venant d’Afrique, des Caraïbes et d’autres régions du Sud global, reste les contraintes liées aux douanes et aux visas. Ces problématiques représentent un obstacle majeur, non seulement pour la circulation des œuvres, mais aussi pour la mobilité des artistes eux-mêmes. Obtenir un visa pour participer à une foire, une résidence ou une exposition internationale est souvent un parcours du combattant, même lorsque les invitations et les financements sont en place. De plus, les coûts élevés, les délais imprévisibles et la complexité administrative des douanes peuvent ralentir, voire compromettre, la présentation des œuvres à l’international. En tant qu’Africaine d’origine congolaise, je suis bien consciente de ces réalités, qui touchent particulièrement les créateurs des régions que je représente. Ces barrières logistiques et administratives ne sont pas seulement frustrantes, elles limitent aussi la visibilité de nombreux artistes sur la scène mondiale et freinent leur potentiel de croissance et de reconnaissance. Pour les artistes émergents, ces difficultés peuvent s’avérer décourageantes. Ils doivent naviguer dans un système où l’accès aux réseaux, aux ressources et aux opportunités est inégal. À cela s’ajoutent des problématiques comme le manque de soutien institutionnel local ou l’absence de structures éducatives solides pour former et accompagner les talents artistiques.

Les artistes sont des témoins de leur époque. Quels sont les principaux thèmes abordés par la sélection de cette année ?

Cette année, la foire AKAA (Also Known As Africa) a mis en lumière les riches dialogues artistiques entre l’Afrique, les Amériques et les Caraïbes, avec un focus particulier sur la scène ultramarine. Ces régions, souvent à la croisée des échanges culturels et historiques, offrent un vivier d’expressions artistiques qui témoignent de leur diversité et de leur complexité. Globalement, les thématiques les plus explorées par les artistes sélectionnés incluent des notions profondément humaines et universelles telles que l’identité, la mémoire, la résilience et les échanges culturels. Cependant, ces thématiques ne sont pas cloisonnées : elles s’entremêlent pour proposer des œuvres qui interrogent la colonisation, les migrations, les questions environnementales et les interactions entre tradition et modernité.

⁠Depuis le lancement de AKAA, comment évaluez-vous son impact ?

Depuis son lancement en 2016, la foire AKAA (Also Known As Africa) a joué un rôle déterminant dans la visibilité et la reconnaissance des artistes africains et afro-descendants sur la scène artistique internationale. En offrant une plateforme dédiée, AKAA met en lumière la diversité et la richesse des expressions artistiques contemporaines issues du continent africain et de sa diaspora, tout en valorisant les récits culturels uniques qui les accompagnent. L’impact de la foire se traduit également par une augmentation constante du nombre de galeries participantes, reflétant l’intérêt croissant pour l’art africain contemporain. Mais au-delà des galeries, AKAA attire aussi de nombreux artistes indépendants qui voient en cet événement une opportunité unique de faire connaître leur travail, de représenter leur pays ou encore de concrétiser leurs rêves artistiques. AKAA se positionne ainsi comme un espace incontournable et légitime pour l’émancipation des artistes africains et de leur diaspora. En soutenant la création artistique et en favorisant les échanges culturels, la foire contribue non seulement à la reconnaissance de ces talents, mais aussi à l’élargissement du dialogue artistique global, renforçant le rôle essentiel de l’Afrique dans le paysage de l’art contemporain.

Ngemba Tina Mpondani, Chargée de Production et d’Exposition-AKAA

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