Proche-Orient : les piliers militaire et diplomatique de la sécurité régionale, selon Emmanuel Caulier

« Les ‘bonnes’ et ‘mauvaises’ raisons de chaque partie pour se défendre convergent vers un questionnement plus vaste : la sécurité régionale peut-elle réellement être réalisée par la seule voie militaire ? ». Emmanuel Caulier, Avocat international interroge la stratégie des différents acteurs régionaux et internationaux dans le conflit au Proche-Orient en faveur de la construction d’une véritable sécurité régionale. Il répond aux questions de Teria News.

Il y a un mois, nous commémorions les attentats du 7 octobre 2023. Un an après, quel bilan stratégique faites-vous de l’opération de Tsahal à Gaza ?

Le bilan stratégique de l’opération de Tsahal à Gaza en 2023 s’éclaire de mille feux sombres, comme un brasier attisé par les vents du Levant, projetant les ombres longues de la souffrance et du sacrifice. Que reste-t-il de cette campagne, si ce n’est la trace d’une stratégie obstinée, cherchant à se frayer un chemin entre le désespoir et la nécessité de contenir un ennemi invisible ? Ainsi que le disait Sun Tzu : « Le suprême art de la guerre est de soumettre l’ennemi sans combat. » Ici, hélas, la guerre n’a connu que le fracas du fer et des explosions sourdes, là où le silence et la négociation diplomatique eurent pu être un baume.

Militairement, Tsahal s’est employée à frapper au cœur de la structure défensive du Hamas. Les tunnels souterrains, comme les artères d’un être redoutable, ont été détruits sans répit, et nombre de ses chefs abattus, « car on ne marche pas pour marcher, mais pour parvenir » disait encore Napoléon. En scellant ces galeries cachées sous le sol, l’armée d’Israël espérait couper les vivres, paralyser l’échine de l’ennemi, bloquer ces veines par lesquelles le Hamas se fortifiait en secret et sauver les otages. Mais comme le notait encore Clausewitz, « dans la guerre, le résultat jamais n’est simple ». Le sable du désert, en absorbant le bruit des combats, semble murmurer que cette victoire physique pourrait n’être que le prélude à de nouvelles ombres naissantes. Sur le plan militaire une victoire pourrait se dessiner à moyen terme, rien ne dit qu’elle sera son visage à long terme ni ce qu’il en sera des otages in fine.

Sur le plan humain, cependant, ce que les victoires militaires ont soulevé en Israël n’est rien comparé à la tempête morale déchainée dans le monde. Des vies écrasées, des murs effondrés, des âmes errantes dans le dénuement : Gaza ne respire plus que dans la douleur de ses habitants. Les échos des batailles, loin de renforcer l’image d’Israël, ont suscité l’indignation partout, car même s’il ne peut être discuté qu’Israël a le droit incontestable de se défendre, ainsi que l’a dit Churchill : « Celui qui se bat doit veiller à ne pas devenir le monstre qu’il combat. » Et dans les cendres encore chaudes, ce n’est point seulement Israël et Gaza qui semblent ébranlés, mais une région entière dont les rivages grondent encore du murmure de la guerre.

Si l’on pouvait conclure enfin, de cette opération ne surgit pas à ce stade la victoire éclatante qui aurait pu apaiser les peuples, mais un océan d’incertitudes. Car « celui qui gagne une guerre par la force des armes n’aura qu’une paix éphémère », avertissait déjà Aristote. Reste à espérer que des voix de raison s’élèveront, car le sable du désert, lui, ne garde mémoire que des vestiges des empires disparus.

Sur le plan diplomatique à présent, sous l’actuel leadeurship de Benyamin Netanyahu et de son gouvernement d’extrême droite, l’image d’Israël dans le monde s’est considérablement détériorée. Son soft Power est-il à refaire ?

Le visage d’Israël, naguère empreint de bravoure et d’ingéniosité, se trouve aujourd’hui assombri par les ombres d’une politique abrasive, telle une nuit sans étoiles. Sous l’autorité de Netanyahu, l’État hébreu a tourné le dos à ses idéaux d’universalité, brandissant le glaive vengeur plutôt que d’étendre la main en signe de paix. Ce « soft Power », ce pouvoir de persuasion douce, que Joseph Nye définissait comme « la capacité d’un pays à influencer les autres par l’attraction et non par la contrainte », s’efface lentement, tel un reflet sur une surface troublée. Autrefois fondé sur la culture, la science et le dialogue, il se perd dans les échos d’un gouvernement dont les actes semblent conçus pour diviser plutôt que pour unir. Ce pouvoir subtil, qui repose non sur la force, mais sur des valeurs partagées, est cette force tranquille qui inspire l’adhésion, comme l’a proclamé Victor Hugo : « Le meilleur des gouvernements est celui qui se fait aimer. »

Cette érosion de son soft Power ne cache qu’une dynamique plus inquiétante encore : la tension exacerbée avec l’Iran, véritable soubassement de ce conflit, attise une forme de répulsion à l’égard d’Israël dans une partie du monde. La rivalité géopolitique avec Téhéran, envenimée par des provocations mutuelles et un bras de fer autour de l’influence au Moyen-Orient, ne fait que renforcer des perceptions différenciées dont celle de la méfiance. Ce conflit larvé, alimenté par des craintes et des ressentiments, entache l’image de l’État hébreu, la faisant passer d’un symbole de résilience et de progrès à celui d’un antagoniste dans une région de plus en plus fracturée par deux ambitions régionales concurrentes.

En plein conflit armé, la diplomatie elle-même semble être paralysée, condamnée, pour l’heure, à l’échec. Les canaux diplomatiques, étouffés par une rhétorique belliqueuse, peinent à jouer leur rôle de médiation tant que la phase stratégique bat son plein. Ainsi, toute évaluation de la situation diplomatique reste prématurée, et il conviendra de se tourner vers cette arène seulement lorsque le tumulte des armes aura cessé, offrant un terrain d’analyse plus stable. Israël, qui autrefois éveillait des rêves par sa capacité à innover et à dialoguer, se retrouve aujourd’hui face à un impératif crucial : redorer un prestige affaibli par les turbulences, rétablir cette « attraction douce » qui, jadis, parlait à toutes les âmes éprises de paix et d’unité.

L’ouverture d’un second front au Liban malgré l’élimination de chefs politiques et militaires du Hamas comme du Hezbollah, fait craindre une conflagration régionale. Quelle analyse faites-vous des buts de guerre, avoués comme cachés, du Premier ministre israélien ?

Se défendre dans une région aussi complexe que le Moyen-Orient soulève des questions profondes pour Israël : jusqu’à quel point est-il légitime de répondre par la force à des menaces perçues comme existentielles, et quelles en sont les implications éthiques et stratégiques ? Machiavel nous enseigne, avec une sagacité intemporelle, que « les armes doivent céder devant les lois. » Pourtant, Israël se trouve confronté à ce dilemme poignant d’une autodéfense dans un contexte où la simple diplomatie semble vaine, mais où recourir à la seule force, sans l’ombre d’un dialogue, pourrait inéluctablement engendrer un cycle de violence sans fin.

Cette défense repose en grande partie sur le besoin vital d’assurer un espace sécurisé pour sa population face à des voisins dont certains mouvements prônent ouvertement sa disparition. Cette quête de survie, enracinée dans une région hostile, semble justifiée, mais chaque acte de défense soulève des dilemmes moraux et politiques que l’on ne peut ignorer. Ses voisins : Palestiniens, Libanais, Iraniens, revendiquent eux aussi légitimement leurs droits et leur autonomie, argüant de la nécessité de résister face à des pratiques perçues comme expansionnistes.

D’un côté, Israël peut justifier ses actions comme des mesures nécessaires contre des menaces armées directes, se fondant sur le principe, éternel et redoutable, que « celui qui veut la paix prépare la guerre. » Cependant, dans cette logique, ne court-il pas le risque que des actions militaires répétées n’alimentent l’hostilité qu’elles cherchent précisément à réduire ? En effet, nombreux sont ceux qui voient dans la défense israélienne une quête de sécurité, mais s’interrogent sur la compatibilité d’une puissance militaire avec les exigences de la diplomatie, rappelant que « la guerre nourrit la guerre », comme l’avait magistralement noté Tacite.

Les voisins d’Israël, pour leur part, voient la préservation de leurs droits territoriaux comme un impératif moral, une lutte pour leur dignité. La revendication des territoires palestiniens, par exemple, repose sur des principes de justice sociale et de légitimité historique. Toutefois, jusqu’à quel point cette lutte justifie-t-elle le recours à des factions armées ? Comme l’a exprimé Jean-Jacques Rousseau avec une clarté poignante, « L’homme nait libre, et partout il est dans les fers. » Pour les Palestiniens, ce combat prend souvent la forme d’une résistance que beaucoup considèrent comme légitime. Mais, des questions épineuses surgissent : est-il juste de soutenir des mouvements qui menacent la souveraineté d’autrui au nom de ses propres droits ?

Ainsi, les « bonnes » et « mauvaises » raisons de chaque partie pour se défendre convergent vers un questionnement plus vaste : la sécurité régionale peut-elle réellement être réalisée par la seule voie militaire ? Où, tel un voyageur égaré, Israël, en cherchant à édifier une forteresse imprenable dans cette région instable, ne fait-il qu’attiser des feux invisibles ? Derrière ces objectifs militaires, se cache peut-être un dessein plus profond, celui de la domination totale, d’une « paix imposée » qui, comme nous l’avertit Voltaire, pourrait bien se révéler « la plus cruelle des tyrannies » si elle ne repose pas sur l’adhésion, mais sur la force seule.

Tout au long du conflit, les États-Unis ont eu une position ambigüe : entre condamnations de principe d’une part et soutien militaire (ventes d’armes, défense aérienne) comme diplomatique de l’autre. Croyez-vous en l’impuissance de Washington ou parleriez-vous plutôt d’hypocrisie ?

L’ambigüité qui teint la posture de Washington dans le conflit israélo-palestinien s’apparente à un labyrinthe où se mêlent condamnations verbales et soutien militaire actif, une danse délicate qui appelle à une réflexion profonde sur la nature même de son engagement. Les observateurs, éclairés par les ombres du cynisme, pourraient y déceler une hypocrisie manifeste. Ainsi, cette oscillation entre le verbe moral et le pragmatisme armé rappelle l’avertissement de Machiavel : « Il est bien plus sûr d’être craint que d’être aimé. » Les États-Unis, tout en affichant une volonté ostensible de défendre les droits des innocents, semblent, par cette dynamique troublante, se rendre aveugles aux conséquences de leurs choix, soulevant des questions morales essentielles qui résonnent comme un écho dans les corridors du pouvoir.

À cet égard, le sage Emmanuel Kant, dans sa Paix perpétuelle, évoque que la guerre ne devrait être qu’un dernier recours, appelant à l’action selon des principes éthiques qui élèvent l’homme au-dessus de ses pulsions belliqueuses. Mais ici, dans ce contexte troublé, Washington semble préférer plier sous le poids des réalités géopolitiques, comme un roseau face aux tempêtes. Albert Camus, de son côté, affirme que « la vérité n’est pas toujours la même selon les circonstances », une réflexion qui remet en question la cohérence de l’engagement américain, dont la flamme vacille au gré des intérêts stratégiques.

Pourtant, certains pourraient avancer que l’impuissance tisse le fil de cette posture ambigüe. La complexité des relations internationales rend délicate une intervention efficace sans risquer de perdre son influence, un dilemme évoqué par Hans Morgenthau dans son œuvre Politics Among Nations. Ce dernier met en lumière la dure réalité des relations de pouvoir, où la puissance et la sécurité, telles deux sentinelles impassibles, prévalent souvent sur les nobles considérations morales. Dans ce contexte chaotique, la politique étrangère américaine apparait comme une tentative désespérée d’adaptation, où les idéaux, tels des vestiges oubliés, cèdent la place à une approche pragmatique et opportuniste.

Enfin, le philosophe John Rawls, dans sa Théorie de la justice, nous rappelle que l’équité doit éclairer chaque action entreprise par les États-Unis, superpuissance de la scène mondiale. Mais peut-on vraiment ignorer les souffrances causées par leurs propres choix stratégiques ? Si, comme le dit La Rochefoucauld, « l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu », alors cette ambivalence pourrait masquer une incapacité à agir en accord avec des principes éthiques. Elle pourrait aussi suggérer la nécessité de composer toujours avec les compromis, inhérents à toute action géopolitique.

En fin de compte, que ce soit par hypocrisie ou par impuissance, l’engagement de Washington soulève des questions fondamentales sur les valeurs qui guident sa politique étrangère. À une époque où les cris des innocents se mêlent à la rhétorique des puissants, il devient impératif de s’interroger : jusqu’où peut-on sacrifier des principes éthiques au nom de la sécurité nationale, et à quel prix ? La réponse à cette question pourrait bien façonner les destinées des nations, tant il est vrai que les vérités, lorsqu’elles se heurtent à l’intérêt, peuvent s’évanouir dans les brumes de l’indifférence. À ce titre, l’élection présidentielle américaine sera un moment surdéterminant.

Enfin, le consensus international autour de la création d’un État palestinien repousse l’idée d’un retour au statuquo. Partagez-vous cet optimisme ?

La naissance d’un État palestinien ! Quel rêve autrefois distant, et aujourd’hui, quel mirage pour les uns, quel port espéré pour les autres. Ce consensus international n’est pas sans rappeler les grandes espérances des temps révolus, celles qui forgèrent des nations. Mais l’optimisme, cet éclat d’espoir en des lendemains de paix, parait fragile devant le tumulte des haines recuites et des ambitions humaines. Oui, l’espérance est là, mais la route est sinueuse et le terme à l’évidence encore très incertain.

Enfin, un mot sur le désastre humanitaire à Gaza et celui en cours au Liban.

La souffrance de Gaza et du Liban se présente tel un fleuve de larmes, inlassable et muet, emportant dans son sillage les rêves brisés d’un peuple en quête de repos. Gaza, meurtrie par le fer et par le feu, s’est muée en symbole d’une humanité dévastée, la chair vivante d’un drame éternel. Le Liban, autrefois jardin luxuriant, se fane sous le poids écrasant des querelles étrangères, tandis que son âme se désagrège dans l’ombre des souffrances sans nom. La France, ce trop lointain spectateur, ne peut pas rester désengagée face à cette tragédie. Les Libanais n’ont jamais oublié les promesses qui leur furent faites par le roi de France au treizième siècle, promesses gravées dans les mémoires comme des étoiles dans le ciel.

Devant ces douleurs infinies, il nous incombe à tous de chercher les moyens de faire surgir, de ces cendres, une paix durable, telle une tendre pousse qui perce le sol ranimé par l’espoir. La question demeure : comment restaurer l’harmonie dans des terres meurtries, comment donner vie à cette paix tant désirée, alors que chaque larme versée rappelle l’urgence d’un avenir meilleur ?

Emmanuel CAULIER, Avocat international pour Teria News

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