Sénégal/Massacre de Thiaroye : Ousmane Sonko relance le conflit mémoriel avec la France

« Ce n’est pas à [la France] de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver ». Ousmane Sonko s’indigne après la reconnaissance posthume accordée par Paris à six tirailleurs africains massacrés à Thiaroye dits « morts pour la France ». Trop peu, trop tard et inopportun, dénonce le Premier ministre sénégalais.

Tout est parti d’une décision dans le contentieux mémoriel qui oppose le Sénégal à la France autour des évènements de Thiaroye. Le 18 juin, Paris accorde à six tirailleurs Sénégalais massacrés en 1944 le titre posthume de « morts pour la France ». Une « reconnaissance » intervenue en amont de la commémoration par Dakar des 80 ans du massacre de Thiaroye.

Le 1er Décembre 1944, pour avoir réclamé leurs arriérés de solde après avoir combattu pour le drapeau français au cours de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs dizaines de tirailleurs sénégalais, terme générique désignant les soldats de la sous-région Ouest-africaine enrôlés dans l’armée Tricolore au sein d’un corps créé sous le Second Empire et dissous dans les années 1960, sont exécutés sur le camp de Thiaroye. Le massacre de Thiaroye fait 35 morts selon la France, jusqu’à 191, voire plusieurs centaines selon certains historiens.  

Coup de colère d’Ousmane Sonko

« Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. Thiaroye 44, comme tout le reste, sera remémoré autrement désormais. »

Ousmane Sonko, Premier ministre sénégalais

Cet épisode de l’histoire coloniale est resté une tache dans les relations entre la France et ses anciennes colonies africaines, lesquelles lui reprochent une mémoire parcellaire à l’égard de ce qui est considéré par beaucoup comme une dette de sang. Au lieu d’apaiser le contentieux mémoriel, la reconnaissance posthume accordée à six tirailleurs sur plusieurs dizaines de morts vient plutôt raviver les braises de l’indignation, telle qu’exprimée par le Premier ministre sénégalais. De plus, la temporalité de la décision est critiquée comme une tentative de reprendre la main sur un récit historique sur lequel les autorités sénégalaises revendiquent la primauté.

« Nous demandons au gouvernement français de revoir ses méthodes, car les temps ont changé ! », écrit Ousmane Sonko sur ses réseaux sociaux. « D’aucuns ont salué comme une grande avancée la décision des autorités françaises d’accorder leur ‘reconnaissance’ à six des soldats africains froidement abattus en 1944 au camp de Thiaroye par l’armée française. Une reconnaissance qui consiste à leur attribuer, à titre posthume, l’étiquette ‘mort pour la France’. Pourquoi cette subite ‘prise de conscience’ alors que le Sénégal s’apprête à donner un nouveau sens à ce douloureux souvenir, avec la célébration du 80e anniversaire cette année ? », interroge avec suspicion le Premier ministre sénégalais. 

La France appelée à sortir du déni

« Ce geste s’inscrit dans le cadre des commémorations des 80 ans de la libération de la France comme dans la perspective du 80e anniversaire des événements de Thiaroye, dans la droite ligne mémorielle du président de la République (Emmanuel Macron) qui souhaite que nous regardions notre histoire ‘en face’ », indique pourtant le secrétariat d’État français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire. Une dynamique initiée par François Hollande, premier chef d’Etat français à rendre hommage aux tirailleurs sénégalais.

Cette mention de « Morts pour la France » a été attribuée par une décision datée du 18 juin à ces six tirailleurs par l’Office national français des combattants et des victimes de guerre. Elle touche « quatre tirailleurs originaires du Sénégal, un de Côte d’Ivoire et un de Haute-Volta » (aujourd’hui Burkina Faso). Cette première décision « pourra être complétée dès lors que l’identité exacte d’autres victimes aura pu être établie », précise le secrétariat d’État.

Les 1.300 tirailleurs rassemblés au camp de Thiaroye étaient d’ex-prisonniers de guerre des Allemands qui avaient participé aux combats de 1940. Ils avaient embarqué en France début novembre 1944 pour être renvoyés en bateau à Dakar. Après leur arrivée au camp plus de deux semaines plus tard, les soldats se révoltent contre le retard du paiement de leurs arriérés de solde. Nombre d’entre eux refusent même de rentrer dans leurs pays et familles sans être payés. Les événements de décembre 1944 ont inspiré le film, « Camp de Thiaroye », réalisé en 1988 par le cinéaste et auteur sénégalais Ousmane Sembène et son compatriote Thierno Faty Sow.

Teria News

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