Instaurée par la France, alors puissance coloniale, après la Seconde Guerre mondiale, l’objectif de la zone franc CFA était d’assurer un flux continu et abordable de ressources vers l’Hexagone. Si les précédentes tentatives de sortie du franc CFA, sabotées par Paris, ont été payées cash par les dirigeants et peuples Ouest-africains, aujourd’hui avec l’avènement au pouvoir d’un exécutif panafricaniste au Sénégal, couplé aux ambitions de l’AES, la donne a changé. S’ils unissent leurs forces et si la Côte d’Ivoire vote pour un président moins dépendant de la France lors des élections présidentielles de 2025, la fin du franc CFA ouest-africain pourrait bien être proche.
Jamais dans l’histoire, le franc CFA une monnaie héritée du colonialisme, utilisée dans les pays d’Afrique occidentale et centrale appartenant à la zone franc, n’a été aussi proche de sa disparition.
Le Sénégal a voté massivement pour le candidat de gauche du Pastef Bassirou Diomaye Faye (et son ancien chef de parti Ousmane Sonko), tandis que les gouvernements putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger évoquent la possibilité d’abroger le franc CFA depuis un certain temps. Le Sénégal, sous la présidence sortante de Macky Sall, était un pilier de la tentative de longue date de la France de rester influente parmi ses anciennes colonies, souvent appelées “Francafrique”. Aujourd’hui, M. Faye, nouvellement élu, sous la bannière du “Panafricanisme de gauche”, a promis de rendre son pays plus souverain dans les domaines de l’alimentation, de l’énergie et de la finance.
Jamais auparavant quatre gouvernements d’Afrique de l’Ouest, dont l’un des leaders régionaux, le Sénégal, n’ont été simultanément désireux et prêts à sortir de l’emprise post-coloniale.
La zone franc CFA a été instaurée par la France, alors puissance coloniale, après la Seconde Guerre mondiale. Son objectif était d’assurer un flux continu et abordable des ressources vers la France. La zone est divisée en deux parties. La zone du franc CFA de l’Afrique de l’Ouest compte huit membres : Mali, Niger, Burkina Faso, Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo et Guinée-Bissau. La zone Afrique centrale en compte six : Cameroun, Gabon, République du Congo, République centrafricaine, Tchad et Guinée équatoriale.
La mobilisation populaire contre la monnaie a été vive ces dernières années en Afrique de l’Ouest. Cela a conduit à des changements cosmétiques des accords monétaires. Par exemple, en 2019, le président français Emmanuel Macron et le président en exercice de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, ont annoncé le retrait du personnel français de certains organes de décision de la banque centrale régionale, BCEAO. Ils ont également renoncé à l’obligation, très décriée sur le continent, de stocker 50 % de toutes les réserves à Paris, afin de garantir à l’ancienne puissance coloniale qu’elles ne seraient pas gaspillées dans une expansion budgétaire irresponsable.
Dans l’ensemble, cependant, le franc CFA est resté plus ou moins le même et la France n’a pas voulu quitter l’accord de son propre chef. Le vieil attachement colonial et la prétendue bienveillance en matière de développement ont prévalu. Mais les conditions d’un changement majeur sont aujourd’hui réunies. L’Alliance des États du Sahel, qui regroupe les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et du Niger dirigés par la junte, a fait part de son intention d’introduire le “Sahel” comme nouvelle monnaie régionale. Acter une rupture totale avec la zone FCFA et le déclin de celle-ci grâce à cette initiative et au plan sénégalais pour une monnaie nationale dépendra de la qualité de la planification et de la mise en œuvre de la transition vers plusieurs nouvelles monnaies ou vers une seule monnaie sans aucune implication de la France.
Un chemin difficile à parcourir
Historiquement, comme le montrent Fanny Pigeaud et Ndongo Sylla dans leur livre L’arme invisible de la Françafrique : Une histoire du franc CFA, les tentatives sérieuses de sortie du franc CFA depuis sa création en 1948 ont été sabotées par la France.
Par exemple, la Guinée a été inondée de faux billets lorsqu’elle a quitté le franc CFA dans les années 1960.
Le Mali a subi des pressions pour rejoindre le franc CFA après son départ en 1967. Il est revenu dans le giron en 1984. En 2011, le président ivoirien Laurent Gbagbo, qui avait envisagé de se retirer du franc CFA, a été contraint de démissionner après des élections controversées avec l’aide d’une force d’intervention militaire. Il a ensuite été envoyé à la Cour pénale internationale avant d’être acquitté dix ans plus tard.
La France est allée plus loin en 2011, un exemple que les pays envisageant de quitter le franc CFA devraient prendre en compte. Elle a utilisé son siège au sein des organes de décision de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest pour empêcher la Côte d’Ivoire d’être refinancée par la banque. Elle a également incité les filiales de BNP Paribas et Société Générale à fermer temporairement leurs agences. La sortie du franc CFA s’est donc historiquement accompagnée d’un risque élevé de sabotage de la part de la France.
L’équilibre des forces a changé et les gouvernements d’Afrique de l’Ouest peuvent mieux se préparer cette fois-ci. S’ils unissent leurs forces et si la Côte d’Ivoire vote pour un président moins dépendant de la France lors des élections présidentielles de 2025, la fin du franc CFA ouest-africain pourrait bien être proche.
Le facteur confiance
La stabilité et la légitimité d’une monnaie dépendent avant tout de la confiance : ses utilisateurs (particuliers et entreprises) doivent avoir plus ou moins confiance en sa stabilité. Cela implique un taux d’inflation raisonnablement bas et une participation à des activités économiques propices à la croissance. Les périodes de forte inflation et d’hyperinflation ont toujours été le résultat d’une crise économique grave où la confiance a fait défaut.
La stabilité monétaire dépend donc de la stabilité sociale et macroéconomique. Celle-ci, à son tour, est le résultat de l’adéquation entre les politiques gouvernementales et les processus des marchés nationaux et mondiaux. Un gouvernement qui est perçu comme ayant un plan et qui est capable de s’adapter à la pression économique et de la gérer contribue grandement à instaurer la confiance. Et, par voie de conséquence, la nouvelle monnaie est moins sujette aux attaques spéculatives ou aux dévaluations massives.
Au Sénégal, le programme électoral de Pastef comportait une feuille de route pour quitter le franc CFA et mettre en place une monnaie nationale. Les principales étapes sont les suivantes :
- la création d’une Banque centrale nationale ;
- refinancement des dépenses de l’État à 0% ;
- démonétisation de l’or et interdiction de son importation et de son exportation pour constituer une réserve d’or ;
- rapatrier les réserves d’or encore stockées à Paris et dans le monde entier ;
- reprofilage de la dette publique et annulation de la dette privée par la monnaie fiduciaire ;
- mise en place d’un système d’assurance des dépôts pour les petits épargnants ;
- construction d’une bourse nationale ;
Enfin, la nouvelle monnaie sera flottante et non convertible ou semi-convertible pour la protéger des attaques spéculatives. Ce menu est similaire à certaines des stratégies employées par la Chine au cours des dernières décennies pour maintenir le contrôle du gouvernement sur l’économie et protéger la croissance économique chinoise de toute interférence étrangère, c’est-à-dire spéculative.
Le succès d’une telle stratégie dépend dans une large mesure de la mobilisation des ressources financières et réelles intérieures. Et, en l’absence de l’énorme marché intérieur comme celui de la Chine, il faut la construction de complémentarités économiques régionales. Le défi stratégique pour Diomaye consistera donc à rallier à son projet de transformation économique un groupe suffisamment important de petits entrepreneurs, de propriétaires terriens et de puissants acteurs des confréries musulmanes Mouride et Tidjaniyya et de la classe capitaliste sénégalaise. Ce défi sera d’autant plus important face aux revenus d’exportation futurs de gaz et de pétrole – contrats que le Pastef a promis de renégocier – et à une structure économique globale qui n’est pas encore axée sur le marché intérieur.
Une monnaie nationale pourrait soutenir ce changement d’orientation vers le bien-être du peuple sénégalais. En effet, sa logique serait de réorienter le gouvernement vers l’économie nationale et sa population. Les importations et le rapatriement facile des bénéfices par les sociétés étrangères, qui sont quelques-uns des principaux effets du franc CFA souvent surévalué, deviendraient plus difficiles.
Facteurs de réussite ou d’échec
La réaction du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et d’autres donateurs et créanciers au programme de M. Faye sera cruciale. Il reste à voir dans quelle mesure le nouveau gouvernement sénégalais est prêt à se passer des sommes considérables qu’ils versent au titre de l’aide et des crédits. Le Niger s’en est récemment passé et a réduit son budget de 40 % en raison du gel de l’aide.
Dans l’ensemble, les gouvernements du Sénégal et du Sahel sont plus que jamais en position de force au niveau mondial. Le continent africain est considéré comme essentiel pour assurer la transition énergétique en Europe ainsi que la diversification de son approvisionnement en pétrole et en gaz. L’hégémonie militaire, diplomatique et commerciale de l’Occident sur le continent est remise en question par la Chine et la Russie, ainsi que par les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie.
Si les gouvernements du Sénégal et du Sahel positionnent bien la fin du franc CFA dans leurs négociations globales avec leurs partenaires internationaux ainsi qu’avec leur classe capitaliste nationale et les forces politiques opposées, sa fin pourrait en effet être proche.
Ce ne sera pas la fin du long chemin vers la souveraineté alimentaire, énergétique et économique globale au profit des populations. Mais ce sera une victoire symbolique et matérielle importante contre l’ingérence postcoloniale. Le franc CFA colonial n’est plus utile au “panafricanisme de gauche” d’aujourd’hui. Organiser sa fin est un défi de taille, mais pour la première fois depuis des décennies, c’est un défi qui peut être affronté avec des chances de succès.
Teria News avec The Conversation