Froissé par la contre-performance de ses artistes, pourtant surreprésentés, aux Grammys, le Nigeria bloque la création de la version africaine des Grammy Awards. Derrière cette vexation se cache une concurrence entre l’afrobeat nigérian et l’amapiano sud-africain, mais surtout, une guerre d’influence entre le Nigeria et l’Afrique du Sud pour le leadership régional.
Début février, la 66e cérémonie des Grammy Awards a été le théâtre d’une rivalité entre deux mastodontes du continent africain. À peine inaugurée, la catégorie « Meilleure performance musicale africaine » mis en scène une rivalité entre cinq artistes nigérians (Burna Boy, Davido, Asake, Olamide et Ayra Starr), tous représentants de l’afrobeat et une artiste sud-africaine. C’est cette dernière, la jeune « Tyla », portée par son tube « Water » qui est repartie avec la récompense. Alors qu’elle a fait irruption sur la scène musicale américaine en parvenant à se hisser dans le classement Billboard Hot 100, l’artiste de 21 ans a ainsi raflé la vedette aux poids lourds nigérians.
Apparemment irritée par la contreperformance de ses artistes, la ministre nigériane de la culture, Hannatu Musawa, a reporté l’adhésion du Nigeria à l’académie africaine des Grammys Awards, et par la même occasion, l’annonce formelle de sa création.
Le soft power africain à la conquête du monde
En octobre, Tyla a franchi une étape majeure en dépassant les auditeurs mensuels de Burna Boy sur Spotify, faisant d’elle la deuxième artiste africaine la plus écoutée sur la plateforme.
Dominée par l’Afrobeat, c’est toutefois l’ensemble de la scène musicale africaine se projette sur le globe. Fer de lance du soft power africain, principalement grâce à l’émergence d’artistes nigérians comme Burna Boy ou Rema dont les stars américaines convoitent les featurings, et malgré la victoire de Tyla, l’Afrobeat n’a pas pris une ride. Représentante de l’Amapiano, un sous-genre né dans les townships sud-africains, les rythmes de Tyla viennent renforcer la représentation de la diversité culturelle africaine sur la scène globale, bien que la ministre nigériane de la culture ne l’ait pas entendu de la même oreille.
L’épisode rappelle les vives rivalités qui peuvent traverser les relations entre pays africains. En l’espèce, l’Afrique du Sud qui n’a toujours pas digérée avoir été détrônée de son rang de première puissance continentale par le Nigeria en 2014, y voit une forme de revanche. Entre les deux géants économiques continentaux s’érige le dossier épineux du traitement réservé aux migrants nigérians en Afrique du Sud. Victimes, comme d’autres ressortissants africains, de vagues de xénophobie, ils sont souvent les bouc-émissaires d’un contexte social difficile marqué par une économie en berne et dont le taux de chômage atteint aujourd’hui 32.1%. Malgré les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) anticipant que Prétoria reprenne temporairement sa place en 2024, l’Afrique du Sud devrait à nouveau être dépassée par Abuja en 2025.
Implantation des Grammys en Afrique
L’empreinte grandissante des artistes africains a poussé la National Academy of Recording Arts and Sciences (dite The Recording Academy), à créer plusieurs hubs régionaux sur le continent. Johannesburg, Nairobi, Kigali, Abidjan et Lagos ont été ciblées comme les cinq antennes régionales d’une déclinaison africaine de l’académie, avant l’organisation des premiers Grammy Awards africains. Alors qu’ils sont prévus se tenir en 2025 ou 2026, Abuja risquerait de perdre sa place de favorite pour accueillir la cérémonie.
L’accueil de ces sièges régionaux avait déjà donné lieu à une bataille diplomatique auprès de l’académie. Signe de l’enjeu, le sujet a vu l’implication personnelle des présidents nigérian Ahmed Bola Tinubu et kenyan William Ruto lors de leurs voyages respectifs aux États-Unis dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2023.
Teria News