Le blanchiment de l’Amérique latine : une négrophobie d’État

Le saviez-vous ? À travers l’absorption des Noirs dans la race blanche via un métissage forcené et l’imposition légale d’une immigration exclusivement blanche, l’Amérique latine a tenté de blanchir sa population en effaçant toute trace des Noirs dans la région. Récit d’un racisme institutionnel, « pire qu’aux États-Unis ».

Le racisme et la violence institutionnelle contre les Noirs et Afro-descendants sont souvent associés à l’Occident. Mais, alors qu’elle échappe à ces accusations, l’Amérique latine a été et demeure un espace d’oppression des Noirs, pire que les États-Unis, d’après la population Afro y résidant. Méconnue sous cet aspect, l’Amérique latine a pourtant une longue histoire de politiques publiques visant à effacer, faire taire les populations noires et blanchir leurs sociétés. 

La négrophobie est si ancrée dans la région qu’elle y est souvent justifiée ou même ignorée. Nombreuses sont les personnalités publiques Noires qui, à peine parvenues à franchir un plafond de verre, blanchissent leur peau comme le joueur Dominicain de baseball Sammy Sosa. Ouverte et provocante, notamment via la presse régionale qui la nourrit, elle s’instille aussi de façon plus subtile via un racisme ordinaire, de tous les jours. Il peut s’agir de termes supposés affectueux comme « mi negrita » (ma négresse) qui en réalité, est un reliquat de l’association des Noirs à une forme de propriété, ou de pratiques comme le « blackface », fréquemment utilisé comme moyen de divertissement. Pourtant bien ancré en Amérique latine, les populations se détournent du racisme opérant en leur sein sous prétexte que la situation serait pire aux États-Unis. Le puissant voisin d’Amérique du nord devient le cache-misère tout désigné visant à faire diversion d’une négrophobie toute endogène et à se donner bonne conscience. En attendant, ce déni collectif a des conséquences perverses : ignoré, le problème persiste et se perpétue à travers les générations.  

Contrairement aux États-Unis où le racisme a été soutenu par la ségrégation raciale, notamment légalisée par les lois Jim Crow, les pays comme la Colombie, le Mexique ou le Brésil qui abrite la seconde population Noire la plus importante au monde après le Nigeria, ont encouragé le mélange de différentes races. Dans ces pays, le « mestizaje » est devenu une politique publique révélant une négrophobie institutionnelle d’État. Pendant des siècles, cette idéologie a été utilisée pour blanchir la population afin d’effacer toute trace des Noirs dans la région.

Le péché originel de Simon Bolivar

Simon Bolivar, considéré comme le grand libérateur de l’Amérique latine, ne serait parvenu à libérer aucun territoire de la région sans l’aide d’Haïti où la rébellion d’esclaves Noirs a donné lieu à la seule République libre d’Amérique latine et des Caraïbes de l’époque. Le président d’alors, Alexandre Petion, a accordé l’aide de son pays à Simon Bolivar sous une condition : qu’il abolisse l’esclavage dans la nouvelle république qu’il fonderait. Quelques années plus tard, fort de sa victoire sur le colon espagnol dans toute la région, Bolivar se proclame président de la Colombie, du Venezuela, du Panama, de l’Equateur, du Pérou et de la Bolivie.

Mais alors qu’environ 60% des soldats qui ont combattu sous ses ordres dans ces guerres d’indépendance étaient Noirs, et malgré la promesse faite à Alexandre Petion, Bolivar les trahit. Sa promesse d’abolir l’esclavage n’était qu’un mensonge. Il est allé jusqu’à s’insurger contre l’audace des soldats Noirs « de désirer une égalité absolue ». Ces derniers ont dû attendre 40 ans après la guerre pour gagner leur liberté. À l’instar de l’élite qu’il représentait, Bolivar craignait que les Blancs deviennent démographiquement minoritaires. Il a donc maintenu la hiérarchie raciale de l’Amérique latine coloniale.  

Violence et artifices pour créer une identité nationale Blanche

Parce que Noir, Juan José Nieto Gil, l’unique président colombien issu de cette communauté, a été effacé des livres d’histoire. Les autorités colombiennes de l’époque ont envoyé son portrait présidentiel officiel à Paris pour blanchir son apparence.

Juan José Nieto Gil, unique président Noir de Colombie

Même une fois l’esclavage aboli, les Noirs sont demeurés une menace pour la hiérarchie sociale à domination blanche héritée de la colonisation. L’élite blanche a donc élaboré et exécuté un plan systémique visant à éradiquer les Noirs physiquement et culturellement, principalement via l’immigration massive des européens Blancs, tout en interdisant l’immigration des non-blancs. C’est la période de « blanqueamiento » et « branqueamento » qui signifie « blanchir ». L’objectif était d’effacer toute trace de traits et couleur Afro chez les générations futures afin que l’identité nationale de ces pays soit associée à la couleur blanche. Absorption des Noirs dans la race blanche via la promotion du métissage et immigration exclusivement blanche ont été les piliers de cette politique raciale.

10 millions d’immigrants européens se sont ainsi installés en Amérique latine entre 1830 et 1930. 90% d’entre eux se sont répartis entre l’Argentine, l’Uruguay, Cuba et le Brésil. L’État brésilien est allé jusqu’à payer pour les frais de transport de ces migrants et a voté une loi faisant automatiquement d’eux des citoyens dès leur arrivée au Brésil, leur donnant des avantages et une préférence nationale sur les Noirs dans l’accès à l’emploi, aux logements et à l’éducation.

Francia Marquez, Vice-présidente colombienne

Aujourd’hui encore, plus de 78% des Afro-brésiliens vivent sous le seuil de pauvreté. Plusieurs groupes et personnalités de la société civile ont tenté de s’opposer à cette négrophobie d’État : le Mouvement Unifié des Noirs au Brésil, opérant depuis les années 1970 et en Colombie, l’activiste Francia Marquez qui a été élue à la vice-présidence de son pays en 2022, une première pour la communauté Noire. Ainsi, il est impossible d’aborder les problèmes sociaux des populations Noires d’Amérique latine sans restituer l’oppression et le racisme multiséculaire dont elles ont été la cible. Au-delà des cadres culturels visant à célébrer leur contribution à la société, les activistes exigent aujourd’hui des réparations, principalement sous forme de politiques publiques.

Teria News

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