Tchad : la pérennisation de l’état d’exception et ses dangers

D’exceptions en exceptions, Mahamat Idriss Déby s’installe à la tête du Tchad. À la base du soutien de Paris au régime, la banalisation persistante de l’état d’exception crée un grave précédent sur un continent en proie à de multiples bouleversements politiques.  

Investi président de Transition lundi 10 octobre, Mahamat Idriss Déby a, cette fois, troqué l’uniforme pour la tenue civile. Une façon de marquer le coup, en accentuant le glissement d’un régime militaire vers un régime civil de Transition. Enterrée donc la « junte tchadienne », jusqu’ici incarnée par le Conseil Militaire de Transition (CMT), de facto dissout par la renaissance de son chef, désormais revêtu de ses habits de lumière. Enterrée également, la promesse de ne pas se présenter à l’élection présidentielle qui viendra clôturer cette Transition, déjà prorogée de 2 ans. En se passant le témoin…à lui-même, Mahamat Idriss Déby fera-t-il pour autant oublier les origines militaire et dynastique de sa prise de pouvoir ?

Si les chancelleries occidentales et leurs alliés continentaux ont, à la faveur de dichotomies morales et de torsions sémantiques, habitué les opinions africaines à des pincements de nez cyniques dès lors que leurs intérêts sont en jeu, les peuples ne se laisseront pas duper. Mais surtout, la transition tchadienne pourrait servir de prétexte, voire de modèle à d’autres transitions en Afrique.  

Quand l’exception se généralise, la démocratie est en péril

Rendue inaudible par le dévoilement continu de son agenda politique, économique et militaire sur le continent africain, la diplomatie française s’est assignée une prudence historique, flirtant avec le mutisme, devant cette seconde phase de la transition tchadienne, comme face au deuxième putsch du MPSR burkinabè.

Reste que le mal est fait, d’une part contre l’ordre constitutionnel tchadien, mis en sommeil par le coup d’État institutionnel de Mahamat Idriss Déby et décapité par un Dialogue National Souverain et Inclusif (DNSI) boycotté par une large part de l’opposition et des groupes rebelles, d’autre part contre la crédibilité de Paris. En effet, suite au fiasco diplomatique essuyé sur le dossier malien, l’Élysée et le Quai d’Orsay marchent sur des œufs dans leur positionnement sur les autres transitions du continent.

De Conakry à Libreville, en passant par Ouagadougou, la voix de la « communauté internationale » s’est enrayée. Sévère dans certains cas, permissive dans d’autres, ses incohérences détachent les peuples, leurs dirigeants et aspirants dirigeants de ses conseils et injonctions. Pour le meilleur lorsqu’elles encouragent des choix souverainistes, pour le pire quand elles donnent des idées et des ailes aux apprentis autocrates.

Un tissu institutionnel fragilisé

L’Union africaine qui avait exigé, le 19 septembre dernier, que la junte ne prolonge pas les 18 mois initiaux de transition et refusé la candidature d’un membre du CMT à la présidentielle à l’issue de cette période, s’est bornée à exprimer sa « préoccupation » et regretter que la junte renie ses engagements « relatifs à la durée de la transition et à la clause d’inéligibilité ». Une indolore tape sur la main, alors que l’organisation avait déjà renoncé à sanctionner le coup de force de Mahamat Idriss Déby.

Avec son soutien à la transition tchadienne, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) tout comme l’UA, s’embourbe dans ses contradictions. Ce capharnaüm des institutions continentales fonde la défiance des peuples et les appels à leur dissolution.  

Teria News

Quitter la version mobile