« Les Héroïnes » : Sarraounia, enterrée par le colon mais ressuscitée par les siens 

Elle fut sortie des limbes de l’histoire telle que racontée par le colon grâce à un écrivain engagé. Rendue à la mémoire des siens, la Reine Sarraounia est aujourd’hui une figure féminine continentale. Elle est à elle seule, un plaidoyer en faveur d’une contre-histoire panafricaniste.

De son vrai nom Mangu, la Reine Sarraounia est née au sein du peuple Azna en pays Haoussa, dans le sud-ouest du territoire actuel du Niger. Elle régna sur le village de Lugu, situé à une vingtaine de kilomètres de la commune rurale de Makantari à l’est de Niamey, l’actuelle capitale économique du Niger. Le terme Sarraounia désigne le titre de « Reine » ou « Cheffe politique ou religieuse » en langue Haoussa. Sarraounia Mangu régna sur ce territoire au XIXe siècle. 

Méconnue résistante à la colonisation  

L’histoire de Sarraounia se déroule à une époque où les puissances occidentales se disputent les territoires au sud du désert du Sahara. En pleine expansion coloniale française en Afrique en cette fin de XIXe siècle, la France cherche à atteindre le lac Tchad. C’est dans ce cadre que, sur ordre du ministre de la Guerre, fut lancée la mission confiée aux capitaines Paul Voulet et Jules Chanoine en 1899. Il s’agit d’une colonne d’exploration française, demeurée tristement célèbre car qualifiée d’une des missions les plus meurtrières de la colonisation française en Afrique : de Saint-Louis du Sénégal à Zinder au Niger, des dizaines de villages seront dévastés, anéantis et pillés sur son passage. Les faits liés à cette mission sont notamment relatés par le général Joalland, alors lieutenant au moment des faits, dans son livre de souvenirs intitulé « Le drame de Dankori » paru en 1930, ainsi que par les écrits du romancier français Jacques-Francis Rolland dans son ouvrage « Le Grand capitaine » dédié à ladite exploration.

Peu mentionnée dans les récits français, Sarraounia Mangu marqua cependant les esprits des colons car sa résistance face à l’assaut colonial eut lieu au moment même où les autres royaumes environnants, également sujets aux ambitions colonialistes, capitulaient face aux Français.

La célèbre bataille de Lugu     

Le 16 avril 1899, les troupes françaises stationnèrent à Lugu mais elles feront face à une opposition militaire insoupçonnée. En effet, Sarraounia Mangu refusa de se rendre et prit les armes pour combattre les Français. Se vantant de l’invincibilité de ses troupes, elle décida de leur barrer la route et les accueillit à l’entrée de son village par un message injurieux. Bien avant l’arrivée des troupes françaises, elle avait déjà organisé la résistance avec ses chefferies locales. Ainsi, les deux troupes se faisant face, les incantations de la Reine fanatisaient ses guerriers mais inquiétaient plutôt les auxiliaires de l’armée coloniale. 

Dans un premier temps, les Français arrivèrent aisément à disperser les guerriers Azna notamment par l’usage des salves d’armes à feu. Ensuite, la bataille proprement dite se révélera plus corsée lorsque les populations locales se réfugièrent dans la brousse. Sarraounia Mangu protégea les siens. Les Français eurent du mal à les faire sortir. Côté français, on compta quatre morts et six blessés, mais les pertes furent lourdes en armes, soit environ 7 000 cartouches, ce qui témoigne de la violence du combat qui eut lieu. 

Au bout de plusieurs semaines, les Aznas étant retranchés dans la forêt, les Français n’eurent d’autre choix que de partir. Incendié et en ruines, Lugu fut occupé à nouveau par ses habitants. Même après l’affrontement, la Reine continua de harceler l’expédition française. Cependant, elle ne supporta pas l’idée de n’avoir pas pu mieux protéger sa tribu face à la dévastation du village. Elle se donna alors la mort en se jetant sur un brasier. 

Sur sa tombe, selon la légende, poussa un jujubier, symbole d’éternité.

Film Sarraounia de Med Hondo

Une héroïne restaurée à la mémoire collective

Le personnage de Sarraounia fut méconnu jusqu’aux années 1980 où l’œuvre de l’historien et écrivain engagé nigérien Mamani Abdoulaye, dénommée « Le drame de la Reine magicienne » la rendit désormais populaire dans l’imaginaire nigérien et africain. Jusque-là en effet, elle était demeurée un personnage de folklore.

L’ouvrage de Mamani Abdoulaye viendra palier à son histoire, telle que transcrite et racontée par le colon, qualifiée par l’écrivain de « Méprisante ». Il faut relever en effet que le récit de Joalland fit peu mention de la Reine, qu’il ira jusqu’à qualifier de « vieille sorcière », et encore moins de son héroïsme. Mamani Abdoulaye la dépeignera plutôt en femme jeune et belle, semblable à une redoutable guerrière amazone. 

Dès lors, la Reine devient un personnage extrêmement populaire au Niger et par ricochet un véritable mythe, symbole politique de la lutte contre la colonisation. Sa réinvention littéraire fit d’elle une figure de fierté africaine et de résistance nationale. Ainsi, de nombreuses actions permettront de la mettre sous les projecteurs et d’en faire une véritable figure panafricaniste. Désormais, le colon n’est plus le héros du récit. 

L’histoire de la Reine Sarraounia sera le sujet de plusieurs manuels scolaires au Niger et en Afrique francophone. On note également diverses œuvres de fiction dont un long métrage inspiré du roman de Mamani Abdoulaye, réalisé par Med Hondo, un réalisateur et scénariste franco-mauritanien. Ce film sera primé d’un Etalon d’or au Festival Fespaco (Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou) en 1997. Au Niger, la radio Sarraounia FM est l’une des plus écoutées du pays. De plus, la banque Sarraounia Finance ne prête qu’aux femmes.

Enfin, la restauration de la mémoire de la Reine Sarraounia porte un message essentiel, à la fois contemporain et urgent : elle permet de soulever la portée idéologique des œuvres littéraires et artistiques à l’image du livre de Mamani Abdoulaye, qui peuvent refonder la vie et l’histoire de tout un peuple. En outre, permet-elle de mettre en lumière le décalage qu’on peut remarquer parfois entre l’histoire racontée par le colon et celle transcrite par les peuples colonisés eux-mêmes.

En effet, de par son ouvrage, Mamani Abdoulaye a jeté un pavé dans la mare d’une revendication commune à tous les peuples colonisés d’Afrique, l’histoire des peuples colonisés, souvent écrite par le colon n’ayant pas toujours laissé transparaître la réalité des faits. Si la lumière jaillit de la contradiction, il urge donc aux colonisés de relater eux-mêmes leur propre histoire car l’histoire dit-on, est toujours en faveur de celui qui la raconte. La restauration de la vie de Sarraounia nous démontre à quel point l’histoire bien racontée, peut influer sur le développement d’un pays et d’un continent.

Maggy Lynn

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