Coup d’État institutionnel en Libye ? Mis en difficulté depuis la désignation par le Parlement de Fathi Bachagha comme Premier ministre, Abdel Hamid Dbeibah est en sursis à la tête du gouvernement libyen.
Deux têtes pour un fauteuil. Si Abdel Hamid Dbeibah est reconnu comme le Premier ministre légitime par l’Ouest du pays, Fathi Bachagha lui tient la dragée haute à l’Est depuis sa désignation au poste de Premier ministre par le Parlement, le 10 février. En plus de raviver les tensions territoriales libyennes, ce conflit de légitimité pourrait enclencher une nouvelle guerre des clans et accentuer la fracture entre forces politiques.
Un hold-up institutionnel ?
Élu Premier ministre par intérim le 5 février 2021, dans le cadre d’un accord de partage du pouvoir négocié par l’ONU en vue d’organiser les élections, Abdel Hamid Dbeibah fait face à une fronde politique se fondant sur son incapacité à organiser un scrutin présidentiel le 24 décembre 2021. Considérant son mandat tronqué par cet échec et par l’annonce de sa candidature en violation du pacte politique conclu alors, le Parlement libyen, qui siège à Tobrouk, ville de l’Est contrôlée par l’autoproclamé maréchal Khalifa Haftar, l’a évincé de son poste en désignant Fathi Bachagha à sa place.
Alors qu’il qualifie volontiers d’« invasion » l’arrivée de son rival à Tripoli, le Haut conseil de l’État (institution de l’Ouest libyen) a désavoué Abdel Hamid Dbeibah et appuyé la désignation du Parlement. Dos au mur, le Premier ministre destitué promet de retirer sa candidature à la présidentielle en cas de renouvellement de son mandat jusqu’aux élections. L’organisation de ces dernières en décembre a achoppé sur l’absence de consensus de la classe politique autour des lois électorales et du cadre constitutionnel du scrutin, mais a aussi été menacée par le déploiement de milices à Tripoli quelques temps avant le jour du vote. Les candidatures sulfureuses du chef de guerre Khalifa Haftar, de Saïf al-Islam Khadafi et de Dbeibah lui-même leur ont porté un coup fatal.
Fathi Bachagha, l’homme de l’unité nationale ?
Voyant la fin s’approcher, Abdel Hamid Dbeibah joue son va-tout. Samedi, un défilé de miliciens venus de Misrata, sa ville natale, ont marché vers Tripoli en signe de soutien. Mais Misrata, dont est également originaire Fathi Bachagha, a aussi exprimé son appui à l’ancien ministre de l’intérieur, avec le rassemblement de groupes armés rivaux.
Confiant, Fathi Bachagha estime que le retrait d’Abdel Hamid Dbeibah se fera « calmement et sans problèmes ». Alors qu’il travaille à la composition d’un gouvernement, le Premier ministre désigné affirme que celui-ci sera le reflet d’une « diversité de voix » qui ramènera la Libye sur la « voie de l’unité ».
Tout comme Abdel Hamid Dbeibah, l’ancien ministre de l’intérieur est réputé proche de la Turquie dont il était partenaire au sein du GNA. Après avoir accusé la France de soutenir « le criminel Haftar » dont il contribua à mettre en échec sa campagne de Tripoli, Fathi Bachagha s’est rapproché de Paris. Ainsi, le Premier ministre désigné semble sur le point de faire le pont entre les soutiens régionaux à l’Ouest du pays (Turquie) et de l’Est (Emirats Arabes Unis, Egypte). Le ministère égyptien des Affaires étrangères a déjà salué sa prise de pouvoir, signe d’une alliance avec Khalifa Haftar.
Même l’ONU paraît prendre ses distances avec Abdel Hamid Dbeibah. En effet, appelant « toutes les parties et institutions à continuer […] de préserver la stabilité de la Libye comme une priorité absolue », l’institution a déclaré avoir « pris acte » de la désignation de Bachagha comme Premier ministre par le Parlement libyen.
Teria News