Les défis sécuritaires du Bénin, analyse d’Edgard Kpatindé

« Il n’y a pas que les djihadistes du Sahel qui ont le Bénin dans leur champ de mire. Le groupe Boko Haram fait également des tentatives de pénétration via nos frontières nord-est… ». Une semaine après la double attaque terroriste essuyée par les forces armées béninoises dans le septentrion, Edgard Kpatindé, Spécialiste des questions de sécurité globale livre son analyse sur les défis sécuritaires du Bénin. Exclusivité Teria News.

À quel niveau de menace fait face le Bénin ?

Comme certains de ses voisins, le Bénin se trouve à son tour confronté à un sérieux défi sécuritaire. Depuis mai 2019, les attaques djihadistes vont crescendo. Dans l’intervalle d’une semaine, le Bénin a connu deux attaques d’une rare violence. La première, le mardi 30 novembre passé, au niveau du Pont Kérémou dans la partie septentrionale du pays. La seconde a eu lieu dans la nuit du premier au 02 décembre dans la région de Porga, avec comme cible privilégiée l’armée de terre.

Le bilan de cette dernière attaque s’est d’ailleurs alourdi puisque l’un des valeureux soldat de l’armée de terre a succombé à ses blessures il y a quelques jours. Nos premières pensées vont aux familles qui ont perdu les leurs. Cela dit, lorsque vous observez attentivement la situation, quelques constats s’imposent : ces groupes ne sont pas installés de façon permanente sur le territoire béninois. Ils circulent, font des excursions-test, viennent même se ravitailler.

Les attaques de ce début de mois de décembre montrent que le Bénin est vulnérable sur son flanc nord-ouest, qu’en est-il des autres frontières ?

Il n’y a pas que les djihadistes du Sahel qui ont le Bénin dans leur champ de mire. Le groupe Boko Haram fait également des tentatives de pénétration via nos frontières nord-est, à partir de Décra qui est un petit village nigérian. Les populations qui vivent de l’agriculture font face à un dilemme. Dans les zones de Kalalé, Ségbana, Nikki par exemple, les populations ne peuvent plus cultiver car la forêt désormais classée leur est interdite. Ce qui fait qu’elles sont obligées de se rendre sur les terres nigérianes pour cultiver. Le Nigeria les accepte certes, mais pour combien de temps ? De plus, lorsque vous donnez à manger à des populations devenues presque nomades, vous pouvez faire d’elles ce que vous voulez. Il est urgent de s’attaquer à ce problème. Les groupes terroristes cherchent à s’ingérer dans les conflits communautaires du nord du Bénin qu’ils instrumentalisent à leur profit. Au cours des trois dernières années, on a pu recenser une hausse de plus de 45% des incidents et des heurts violents dans la partie septentrionale du pays. Plus généralement, les zones de pénétration ou d’infiltration sont Karimaman, Malanville, Madekali, Samia (frontières nigériane), Séwan, Ségbana, Kakalé-basso, Boumoussou. Mais aussi de petits villages qui sont discrets mais sont sensibles : Lougou, Morou, Douéya, Libatin pour en citer quelques-uns.

Mais Boko Haram a été considérablement affaibli par l’armée nigériane.

En effet, au mois d’août passé, il y a eu un affrontement terrible entre Boko Haram et les forces régulières nigérianes, le groupe djihadiste a perdu la quasi-totalité de ses membres. Un grand coup lui a été porté. Mais depuis, il a le secours d’autres groupes. On assiste à une forme de mutualisation des intérêts, des informations et des infrastructures de combats. Ces djihadistes font de temps en temps des incursions sur notre territoire. Ils sont lourdement armés. Je parle d’armes modernes de guerre, pas que des armes automatiques, ils ont des PKM, et des 14/7. Les forces de défense doivent s’adapter aux techniques de guerre asymétrique.

En dehors de la réponse militaire, quels sont les autres axes de riposte et de prévention que les autorités doivent étudier ?

C’est un lieu commun mais il est nécessaire de lutter contre l’illettrisme et la pauvreté qui font le lit de ces groupuscules. Là où l’État est absent, la pseudo solidarité offerte par certains réseaux criminels prend place et recueille des adhésions. Il faut aussi valoriser la formation professionnelle, fondée sur un seul critère : la qualité.  Il est aussi nécessaire d’éduquer les femmes, de les former à leurs droits. Nous sommes encore dans un pays où un homme peut considérer, trop souvent en toute impunité, qu’il a droit de vie et de mort sur sa femme ou sur sa fille. C’est un problème de fond.

Par ailleurs, nos frontières sont poreuses, tout le monde le sait et cela arrange tout le monde. Comment voulez-vous être efficaces contre ce fléau qu’est le djihadisme si vous n’êtes pas unis ? L’unité face à ces groupuscules doit d’abord être nationale, ensuite sous-régionale, régionale voire continentale. Sinon, à quoi bon se gargariser avec le pan africanisme?

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Oui, l’islam radical connait un essor. Même si le sujet est sensible, nous devons en parler. Il y a un vrai projet politico-religieux que l’on doit analyser pour le comprendre dans toute sa complexité. On ne peut pas réduire l’islamisme radical à de la frustration sociale. Il s’en nourrit mais les racines sont à chercher ailleurs. Ayant dit cela et dans le même temps, il faut d’une part agir pour faire régresser les frustrations là où elles existent, les gens ont besoin qu’on les respecte, et d’autres part remonter à la source des financements des groupuscules qui se nourrissent de divers trafics.  Y a-t-il un haut conseil qui contrôle le contenu des enseignements et la formation des imams ? De plus, l’islam républicain est-il représenté dans les instances décisionnelles partout où il le faudrait ? Nos concitoyens musulmans sont-ils partout et tous lieux traités équitablement ? Si la réponse est non, c’est qu’il y a nécessairement des frustrations qui iront en grandissant si rien n’est fait.

Spécialiste des questions de sécurité globale et des problématiques africaines, Edgard
Kpatindé a conseillé plusieurs chefs d’État africains avant de fonder i3S, un cabinet de conseil
stratégique et d’accompagnement de projets
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Teria News

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