Alors que sa Constitution interdisait tout engagement militaire étranger, l’Algérie a fait sauter ce verrou. Avec deux amendements, Abdelmadjid Tebboune, qui travaille au retour de l’Algérie sur la scène régionale, pourrait intervenir militairement au Mali. Est-ce l’autre sens du rapprochement entre Bamako et Alger, récemment unis par une brouille diplomatique avec la France ?
Le parrainage de l’Algérie envers le Mali dans son conflit diplomatique avec la France ne fait aucun doute. Le va et vient diplomatique entre les deux capitales s’est intensifié ces dernières semaines dans une coalition d’anciennes colonies contre l’ex métropole qui persiste à voir le présent avec des lentilles néocoloniales.
Et si les tensions Alger-Paris catalysaient un réinvestissement de l’Algérie dans la crise sécuritaire Malienne ?
1400 km de frontières communes lient les deux pays et plusieurs membres des groupes rebelles du nord Mali, principalement dans la région de Kidal, ont la nationalité algérienne. L’Algérie a chapeauté les Accords d’Alger de 2015 entre Bamako, les milices progouvernementales et la Coordination des Mouvements de l’Azawad, ex-rébellion indépendantiste à dominance Touareg qui prévoit notamment l’intégration des rebelles Touaregs dans l’armée et des enquêtes sur les massacres et les crimes commis de part et d’autre.
La porosité des frontières entre l’Algérie et le Mali accentue le risque de contagion. D’autant que, tracées par la règle du colon, elles demeurent fictives pour les populations locales qui, ne fondent pas leur sens d’identité et d’appartenance sur cette construction politique fragile, voire virtuelle. Ainsi, l’insécurité au Mali affecte directement l’Algérie, l’autonomie des Touaregs Maliens pouvant faire tache d’huile et attiser des revendications similaires des Touaregs Algériens. Mais il a été difficile de lire une vraie stratégie algérienne au Sahel jusqu’à présent. Le pays est notamment freiné dans sa marge de manœuvre par une économie rentière et l’état de son armée.
Pour une solution politique à la crise sécuritaire du Sahel qui tranche avec la stratégie française du « tout militaire »
L’Algérie soutient […] le dialogue avec les groupes rebelles pour les convaincre de renoncer à la violence en échange d’une amnistie et de programmes de réinsertion sociale. Entre 1999 et 2015, c’est ainsi que 15 000 terroristes algériens ont abandonné les armes. De plus, cette politique a abouti à la destruction du Groupe islamique armé (GIA) en 2004, un cessez-le-feu avec l’Armée islamique du salut (AIS) en 1997 et à la quasi éradication d’Aqmi en Algérie.
Malgré cette proximité, pendant longtemps, l’Algérie a considéré que le rôle de son armée se bornait à sécuriser ses frontières et à combattre l’extrémisme sur son territoire. Dans les années 1990, l’Algérie a joué un rôle de médiateur dans les conflits qui opposaient les rebellions touarègues aux États Malien et Nigérien. Alger mise davantage sur une stratégie politique que militaire, en prônant l’intégration économique et sociale des populations rebelles et en appuyant des projets de développement. L’Algérie soutient l’application de mesures qui ont fonctionné sur son territoire. Soit, le dialogue avec les groupes rebelles pour les convaincre de renoncer à la violence en échange d’une amnistie et de programmes de réinsertion sociale. Entre 1999 et 2015, c’est ainsi que 15 000 terroristes algériens ont abandonné les armes. De plus, cette politique a abouti à la destruction du Groupe islamique armé (GIA) en 2004, un cessez-le-feu avec l’Armée islamique du salut (AIS) en 1997 et à la quasi éradication d’Aqmi en Algérie.
Alger préconise de séparer les groupes Touaregs locaux des groupes terroristes aux ambitions transnationales, ensuite, de créer un front contre ces derniers avec le soutien des populations locales en permettant à ceux qui veulent se rendre de le faire. Un dialogue interdit par la France. Selon cette méthode, progressivement isolés et affaiblis, les autres n’auront d’autre choix que de rendre les armes. Toutefois, la faiblesse de l’État malien freine l’application de cette stratégie qui ne fonctionne qu’avec une légitimité et une présence de l’autorité centrale, aujourd’hui toujours fantomatique dans les régions reculées des États sahéliens. Autrement dit, avant de négocier avec les groupes rebelles, l’État doit être en mesure de leur opposer une force militaire et politique et de se matérialiser davantage dans la vie des populations locales. L’impasse militaire. L’État Malien affaibli face aux rebelles n’a pas été en mesure d’appliquer l’accord d’Alger de 2015.
Rupture historique : Alger se voit en puissance militaire régionale
« On n’en est pas encore là pour l’instant. »
Abdelmadjid Tebboune sur une possible intervention militaire au Sahel
Le président Abdelmadjid Tebboune travaille à réengager l’Algérie sur la scène régionale en multipliant les rencontres pour pousser l’application des accords de 2015. Cette nouvelle orientation passe également par une modification de la Constitution qui traduit une rupture historique. En effet, en décembre 2020 sont ajoutés les articles 31 et 91 à la Loi fondamentale algérienne. « Le président de la République après accord des deux chambres peut déployer l’armée à l’étranger », dispose l’article 91. Quant à l’article 31, il permet à l’armée de participer dans le cadre de mission de la paix, à des opérations de l’ONU, de la Ligue arabe et de l’Union africaine. Face aux interrogations suscitées par ces amendements constitutionnels, Abdelmadjid Tebboune a déclaré en mars : « Nous n’irons pas remplacer les Français au Sahel. ». Toutefois, sur le même sujet, en juin, le président algérien s’est borné à répondre : « On n’en est pas encore là pour l’instant. » à un journaliste français. Il a ainsi rouvert la porte d’une intervention algérienne au Mali en n’en excluant plus aussi catégoriquement la possibilité.
Avec le recours à Wagner et un dialogue avec les rebelles guidé par l’expertise algérienne, le Mali rompt progressivement avec la stratégie sécuritaire française.
Teria News