Muhammadu Buhari tape à nouveau du poing sur la table

Mardi 23 juin, dans une série de tweets, le président nigérian s’est insurgé contre la volonté des pays de l’UEMOA, utilisateurs du Franc CFA d’adopter l’Eco de façon unilatérale, en excluant de fait les autres membres de la CEDEAO dont le Nigéria, qui représente à lui seul 70% de son économie.

Le président nigérian s’indigne contre une CEDEAO à deux vitesses. « Cela me donne un sentiment de malaise que la zone UEMOA souhaite reprendre l’Eco en remplacement de son Franc CFA avant les autres Etats membres de la CEDEAO. C’est un sujet de préoccupation qu’un peuple avec lequel nous souhaitons nous associer, fasse ces pas majeurs sans nous faire confiance pour en discuter. » a-t-il déclaré.

« Le Nigeria soutient pleinement et est attaché à une union monétaire dotée des fondamentaux appropriés, une union qui garantit la crédibilité, la durabilité, la prospérité et la souveraineté régionale entière. Mais nous devons faire les choses correctement et assurer le respect absolu des normes établies », a rappelé Muhammadu Burari dans un tweet. Puis le président nigérian a averti « Nous ne pouvons pas nous ridiculiser en entrant dans une union pour se désintégrer potentiellement au plus tôt lorsque nous y entrons. Nous devons être clairs et sans équivoque sur notre position concernant ce processus « , avant d’ajouter, « nous devons procéder avec prudence et respecter le processus convenu pour atteindre notre objectif collectif tout en nous traitant les uns les autres avec le plus grand respect. Sans cela, nos ambitions pour une union monétaire stratégique en tant que bloc de la CEDEAO pourraient très bien être sérieusement menacées ».

Ainsi, le coup de semonce du 16 janvier, date du communiqué commun des ministres de finances et gouverneurs des banques centrales des pays membres de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest, (ZMAO), soit, Nigéria, Ghana, Sierra Leone, Libéria, Gambie et Guinée-Conakry, n’aura pas contenté le président nigérian. Le Nigeria revient donc à la charge, après avoir accusé en début d’année Alassane Ouattara et les pays de la zone UEMOA, dont la Côte d’Ivoire est le moteur économique et le pilote politique, d’avoir trahit l’esprit de l’Eco portée depuis 30 ans par la CEDEAO, de l’avoir vidé de son contenu et d’avoir court-circuité la procédure d’adoption enclenchée par la CEDEAO, pour, le 21 décembre 2019, aux côtés du président français Emmanuel Macron, en faire la nouvelle monnaie commune de l’UEMOA. Le communiqué avait alors dénoncé une adoption unilatérale de l’Eco et avait porté un coup aux projets de fusion des zones ZMAO et UEMOA dans la CEDEAO.

Mais l’Eco, ou plutôt l’Eco de l’UEMOA s’avère être une pomme de discorde encore plus importante. En effet, non seulement met-elle en danger l’union des deux zones monétaires de la CEDEAO, mais elle fait peser un plus grand risque sur l’intégrité de la CEDEAO, et pourquoi pas de l’UEMOA elle-même si certains de ses pays membres, tiraillés entre la France et le Nigéria, se rangeaient du côté de la première économie de la CEDEAO et du continent. Car c’est un véritable bras de fer qui se joue entre Paris et Abuja pour le leadership sur la question de l’Eco, combat dans lequel la Côte d’Ivoire est un intermédiaire de Paris.

Notons qu’en février dernier, le Nigéria avait demandé une « prolongation du délai pour le lancement de la monnaie unique », étant donné que les « critères de convergence n’ont pas été remplis par la majorité des pays » avait ajouté Abuja. Ces critères de convergence sont un déficit inférieur à 3 % du Produit intérieur brut, une inflation de 10 %, et une dette inférieure à 70 % du PIB. Avant la crise sanitaire et économique causée par la pandémie de Covid-19, seul le Togo remplissait ces critères. La requête du Nigéria a de toute évidence été ignorée par les pays de l’UEMOA qui maintiennent le cap concernant l’adoption de l’Eco, prévue pour le second semestre 2020.

La crise dont peu ne voient la fin ayant creusé les déficits publics et ébranlé les économies mondiales, il est à prévoir que ces critères soient inatteignables par les pays de la CEDEAO avant plusieurs années, renvoyant l’adoption de l’Eco version CEDEAO à un horizon encore plus incertain. Rappelons qu’en marge du 56e sommet ordinaire de la CEDEAO tenu à Abuja plus tôt le 21 décembre 2019, tranchant avec l’empressement ivoirien, Zainab Shamsuna Ahmed, ministre des Finances du Nigeria s’était montrée prudente, et avait prévenu que la mise en œuvre de l’Eco en 2020 « n’est pas certaine » avant de préciser « Il reste encore du travail à faire individuellement pour répondre aux critères de convergence ».

La sortie de Muhammadu Buhari est saluée par les figures de proue de la lutte contre le France CFA comme Kako Nubukpo. « Le Président Nigérian Muhammadu Buhari a totalement raison de poser la question des modalités concrètes de création de l’Eco. Nous ne voulons plus du FCFA! Nous voulons une monnaie Eco pour l’ensemble des 15 États de la CEDEAO, une monnaie Eco flexible avec un régime de ciblage de l’inflation. Dans les semaines à venir, j’organiserai enfin à Lomé les États Généraux de l’Eco afin qu’ensemble nous définissions une feuille de route pour guider les Chefs d’États et les parlementaires de la CEDEAO. » a réagit l’économiste togolais.

Teria News

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